Revue d’Histoire du Théâtre • N°271 T3 2016
Comptes rendus RHT#271
Par Maëline Le Lay
Résumé
Compte rendu de l’ouvrage suivant :
Nicolas Martin-Granel et Julie Peghini (dir.), Sony Labou Tansi en scène(s), La Chair et l’Idée. Théâtre et poèmes inédits, lettres, témoignages, écrits et regards critiques, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2015
Texte
Nicolas Martin-Granel et Julie Peghini (dir.), Sony Labou Tansi en scène(s), La Chair et l’Idée. Théâtre et poèmes inédits, lettres, témoignages, écrits et regards critiques, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2015.
| par Maëline Le Lay
Sony Labou Tansi en scène(s) a d’abord été le titre d’un colloque portant sur le théâtre de Sony Labou Tansi. Il avait été organisé au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris en 2013 par Jean-Damien Barbin, enseignant d’art dramatique dans ledit établissement, et deux chercheurs spécialistes de l’œuvre sonyenne, Nicolas Martin-Granel et Julie Peghini. Néanmoins, ce livre, conçu sur une idée de Jean-Damien Barbin et co-dirigé par Nicolas Martin-Granel et Julie Peghini, n’est pas un volume d’actes de colloque. D’abord parce que certaines des communications académiques qui y avaient été données sont publiées dans le dossier du numéro 41 des Études Littéraires africaines ; n’y figurent donc que les textes des autres interventions, lesquelles se voulaient plutôt des témoignages apportés par celles et ceux qui ont accompagné l’aventure théâtrale de l’écrivain, ou qui y ont participé. Y sont insérés aussi des extraits de sa correspondance avec ces derniers ainsi que deux textes inédits : La Troisième France (poésie) et La Gueule de rechange (théâtre). L’histoire de ce dernier texte, qui est passé par de multiples phases d’écriture et qui est connu par les amateurs de Sony Labou Tansi, est clairement relatée par Céline Gahungu.
Dans leur introduction, qui survient curieusement au tiers du livre, après ces écrits inédits, Nicolas Martin-Granel et Julie Peghini retracent l’histoire des épisodes théâtraux de l’auteur, nécessaire à la compréhension générale de ces fragments. Ainsi délimitent-ils trois moments : la « scène primitive » (1973-1974), correspondant à la première venue de l’auteur en France et à sa rencontre déterminante avec José Pivin et Françoise Ligier ; la « scène tropicale » au Congo (1983-1984), années au cours desquelles l’auteur reçoit de nombreux metteurs en scène français (et non des moins célèbres), attirés par son style et son aura ; enfin la « scène explosive » (2013-2014) à Paris à l’occasion du colloque mais aussi de la programmation de Sony Labou Tansi dans les cours de théâtre du CNSAD. Les textes furent notamment mis en scène par Dieudonné Niangouna avec une pédagogie pour le moins explosive, ainsi qu’en témoigne le documentaire co-réalisé par Julie Peghini et Laëtitia Biaggi, SLT lieu de c(l)asse, et les propos des réalisatrices figurant dans l’ouvrage.
Par ce travail éminemment collectif, les directeurs de la publication nous offrent une vision d’ensemble de ce que fut le théâtre de Sony Labou Tansi et, plus généralement, un aperçu de la personnalité de cet écrivain unanimement perçu comme fascinant, comme de sa trajectoire dans le milieu artistique et littéraire français et congolais. Ce livre permet de prendre conscience de l’ampleur du cercle sonyen et de son importance déterminante pour l’orientation de la carrière de l’écrivain. Qu’aurait été le théâtre de Sony Labou Tansi sans deux des institutions majeures de la Francophonie que sont RFI d’un côté (via le concours de théâtre radiophonique interafricain) et Limoges de l’autre (Francophonies en Limousin, anciennement Festival des Francophonies) ? Sans elles, l’extraordinaire aventure du BBKB (Bordeaux-Bangui-Kinshasa-Brazzaville, bateau-théâtre parti de l’estuaire de la Gironde pour aller jusqu’au Fleuve Congo) n’aurait pas vu le jour et Je, soussigné cardiaque n’aurait jamais été programmé à Chaillot dans une mise en scène de Gabriel Garran (pour ne citer que deux des événements cruciaux de la carrière théâtrale de l’auteur).
Peut-être Dieudonné Niangouna répond-t-il un peu à cette question dans le texte qui clôt ce livre. Il entend en effet à la fois signifier l’influence fondamentale de l’auteur sur son propre parcours d’écrivain et de directeur de festival à Brazzaville (Mantsina-sur-scène) ; à la fois rappeler, avec l’acidité et la brutalité qui le caractérisent, que celui qui est aujourd’hui considéré comme un véritable père et le modèle pour toute une génération de jeunes écrivains africains, n’a pas toujours fait l’économie de négociations – d’aucuns diraient « compromissions » – avec les pouvoirs économico-politiques « franco-congolais », pour assurer son mécénat et faciliter les procédures de coopération culturelle avec les institutions artistiques françaises. À telle enseigne que son héritage théâtral dans son pays, hors le cercle de lecteurs avertis, ne serait pas, d’après lui, à la dimension de sa contribution majeure à l’histoire littéraire et théâtrale « francophone ».
En somme, cet ouvrage constitue un précieux volume de documents inédits sur l’œuvre de cet écrivain dont la consécration tardive et récente, à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort (en 2015), a donné lieu à de nombreuses publications. Si le livre paru au Seuil sous la direction de Greta Rodriguez-Antoniotti (Encre, sueur, salive et sang, 2015) et l’épais volume collectant l’intégralité de sa poésie (Poésie complète, paru aux éditions du CNRS, sous la direction de Claire Riffard et Nicolas Martin-Granel, avec la collaboration de Céline Gahungu,) viennent avec bonheur combler une lacune – pour le commun des lecteurs – dans la présence éditoriale de cet auteur important, le présent ouvrage, comme celui de Xavier Garnier (Sony Labou Tansi, une écriture de la décomposition impériale), s’adresse davantage au lecteur spécialiste de l’œuvre de Sony ou du théâtre en Afrique, qu’il soit étudiant ou enseignant.
Pour citer cet article
Maëline Le Lay, « Comptes rendus RHT#271 », Revue d’Histoire du Théâtre numéro 271 [en ligne], mis à jour le 01/03/2016, URL : https://sht.asso.fr/comptes-rendus-rht271/