Photo 7. La danse d’ouverture vue près de la scène, même occasion.

Revue d’Histoire du Théâtre • N°272 T4 2016

160 pages
ISBN : 9791094971062
ISSN (imprimé) : 1291-2530
ISSN (en ligne) : 2550-8148
Version numérique : 12 euros
Version papier : 15 euros

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Revue d’Histoire du Théâtre • N°272 T4 2016

Comptes rendus – RHT#272

Par Hadrien Volle, Cristina Tosetto, Roger Klotz

Résumé

Comptes rendus des ouvrages suivants :

Claude Régy, Du régal pour les vautours, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2016.
Par Hadrien Volle

Jean-Pierre Han, Critique dramatique et alentours, Carnets de Frictions, Paris, FRICTIONS théâtres-écritures, 2015.
Par Cristina Tosetto

Catherine Faivre-Zellner, Firmin Gémier, héraut du théâtre populaire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.
Par Roger Klotz

Texte

Claude Régy, Du régal pour les vautours, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2016.
| Par Hadrien Volle

 

En parallèle de sa dernière mise en scène d’un texte de Georg Trakl, Rêve et Folie, au Théâtre de Nanterre-Amandiers, Claude Régy publie Du régal pour les vautours aux éditions des Solitaires Intempestifs. Une suite de pensées pédagogiques et personnelles, côtoyant les citations d’auteurs avec lesquels il a travaillés. Peut-être une ultime leçon du maître, âgé aujourd’hui de 93 ans.

Claude Régy ouvre sa réflexion sur sa découverte de Tarjei Vesaas, comment il a dépassé l’attrait des mots et le thème de l’obscurité de l’auteur norvégien pour approfondir sa connaissance de l’auteur – notamment par la lecture d’entretiens. En filigrane, on comprend comment le metteur en scène essaye de capter la pensée de l’écrivain. Il poursuit sur sa découverte récente de Georg Trakl, mais évoque aussi Sarah Kane et sa collaboration avec Marguerite Duras. Tous ces textes qui, de prime abord pourraient paraître sans issues, sont décris par Régy comme « des textes d’ouverture », qui renferment un langage secret, allant au-delà du monde réel. Outre les mots, l’auteur revient sur ceux qui, par leurs idées, lui ont permis de se fonder une pensée : Bergson, Nietzche ou Artaud. Car Régy dit avoir eu une éducation très bourgeoise, détachée de la littérature – il lit son premier ouvrage à 17 ans.

En parallèle, comme une pensée qui circule, Régy explique sa manière empirique de travailler, comment il exerce et éprouve la langue, à la façon d’un sculpteur dont le matériau à mettre en forme serait le verbe. Le metteur en scène parle de son instinct comme outil primordial, l’importance du silence sans sombrer dans l’observation oisive. Il pense que « travailler, c’est parfois ne rien faire » car pendant ce temps, « ça » travaille dans notre esprit. Un exercice où il laisse s’exprimer ce qui vient – comme les vautours sur un cadavre.

L’édition offre un texte aéré, suivant la limpidité du propos. Ni testament, ni manifeste, cet ouvrage est un encouragement vers les générations qui suivront Régy à continuer un travail à contre-courant de la pensée moderne, à l’exploration de terres inconnues. À voir l’acteur comme un corps en action et non pas un simple outil de parole à destination d’un public inactif. Dans la pensée de Claude Régy, tout est création.

Comme dans son précédent ouvrage La Brûlure du monde (2011), le présent est accompagné d’un DVD d’Alexandre Barry.

 

Jean-Pierre Han, Critique dramatique et alentours, Carnets de Frictions, Paris, FRICTIONS théâtres-écritures, 2015.
| Par Cristina Tosetto

-La critique dramatique, cet objet faussement familier

Méconnue ou mal-connue, la critique dramatique fait l’objet du dernier « carnet » publié par FRICTIONS, théâtres écritures, volume qui réunit huit textes (articles parus dans des revues spécialisées ou dans des ouvrages collectifs), sous la plume de Jean-Pierre Han.

Journaliste et critique dramatique, Jean-Pierre Han est rédacteur en chef des Lettres françaises et vice-président de l’Association Internationale Critiques de Théâtre où il assure des formations pour les jeunes critiques. La revue Frictions, qu’il a fondée en 1999, s’efforce de réunir des collaborateurs d’horizons très divers, dans le but de produire une pensée, ou plutôt de réfléchir à la possibilité d’une pensée au cœur du théâtre. Il s’agit d’une (en)quête qui concerne l’écriture critique elle-même, à la recherche d’une troisième voie entre journalisme et langage universitaire. Le carnet s’inscrit dans le cadre d’une réflexion de longue haleine qui a pris forme dans les pages de la revue.

Lus l’un après l’autre les textes livrent une image de la critique dramatique comme un art faussement familier, vilipendé ou loué, c’est selon. Les causes : une méconnaissance chronique de sa pratique et la difficulté d’accepter sa nature profonde, celle d’ « empêcheur de tourner en rond », de capacité à se situer à la mauvaise place au mauvais moment afin de marquer les limites du système théâtral.

La volonté d’aller à l’essentiel de ce qui constitue la « profession » depuis ses origines s’appuie sur l’analyse des évolutions du contexte sociopolitique dont la critique dramatique ne saurait être séparée : la crise de la presse et les logiques de rentabilité du système théâtral public étant les premières visées. De ce fait, bien que les articles n’aient pas été publiés en ordre chronologique, l’auteur revendique le choix d’en indiquer, pour chacun, la date de parution.

Paru en 2002 dans le numéro 5 de la revue Frictions, « Écrire sur le théâtre » ouvre le volume en pointant deux axes de la réflexion de Jean-Pierre Han autour de la critique dramatique. L’un part de l’objet théâtral, continuellement transformé par la mémoire, origine du paradoxe de toute écriture sur le théâtre déjà remarqué par Bernard Dort en 1986 : « Écrire sur le théâtre est une entreprise peut-être désespérée […] on ne cesse pourtant de le faire avec, apparemment, la plus grande tranquillité d’esprit »[1]. Le second axe concerne la distance à prendre avec cet objet introuvable, ceci revenant à poser la question du rôle du critique. Loin d’être le prétexte pour des élucubrations philosophiques, ces deux thèmes font l’objet d’une véritable enquête qui puise dans la routine de la profession. Cette approche lui permet de dévoiler des écarts dans l’uniformité monotone de la critique dramatique.

-Quel rôle pour la critique dramatique ? Journalistes et pigistes choisissent leur camp.

La question de la distance critique amène l’auteur à interroger les raisons profondes du choix de ce « métier », qui n’en est pas tout à fait un, où la figure du critique peut être incarnée à la fois par un journaliste, salarié du journal et naviguant indistinctement d’une rubrique à l’autre, ou par un pigiste qui écrit sur le théâtre par choix délibéré. L’un et l’autre appartiennent à deux mondes distincts. Le premier est un critique du dehors (selon la définition donné par Bernard Dort dans les années 1970[2]), alors que l’autre « fait partie de la maison », comme dirait Peter Brook[3], et s’engage dans un certain combat théâtral.

La critique au jour le jour qui considère chaque spectacle en tant que monade autosuffisante coexiste avec une critique qui tisse des liens entre les spectacles et avec le contexte politico-social. Cette dernière s’octroie ce rôle alors que l’ensemble de la communauté théâtrale (artistes, équipes de création, administratifs, producteurs) semble avoir son mot à dire sur les missions du critique dramatique. Fidèle accompagnateur du travail de création, le critique se transfigure ainsi en « scribe » du metteur en scène. Promoteur du théâtre parmi l’éventail éclaté de l’offre culturelle, il devient un échotier. « Comment et à quelle distance le critique dramatique doit-il, peut-il, se mettre vis-à-vis de l’objet étudié ? » la question gagne à être posée par son actualité toujours brûlante. L’évoquer, signifie aborder la question de la liberté du critique qui s’accroche à l’écriture pour marquer sa distance spécifique.

Ainsi, Thomas Ferenczi est tiraillé entre humeur et théorie[4] ; George Banu entre « utopie » et « autobiographisme »[5] jusqu’à trouver une synthèse dans le « regard à mi pente » [6]. Énoncer sa propre position dans le monde du théâtre signifie « jouer cartes sur table », se donnant les moyens de rendre compte du phénomène théâtral à partir d’un point de vue singulier.

Jean-Pierre Han joue le jeu et explique sa propre position dans « Debout les morts » de 1995 et « Chronique d’une mort annoncée » de 1997. Ici, une critique sans foi ni loi, dont la décrépitude devance toujours d’un pas celle de la presse elle-même, est exorcisée par un appel au combat : il lui demande de choisir son camp alors que annonceurs, financeurs et « décideurs » affirment que tout équivaut à tout, en art comme dans la pensée elle-même. Jean-Pierre Han apparait tel que l’annonce la quatrième de couverture : tiraillé entre le statut de « praticien acharné » et le besoin d’apporter « quelques éléments de réflexion, voire de théorie ».

-Critique dramatique et critique de revue : deux objets théâtraux à partir du même spectacle

C’est dans « Creuser la distance dans le temps des revues » de 2013, que l’auteur renoue avec les questions de l’objet théâtral et du discours impossible énoncés dans son premier article de 2002. Cette réflexion se précise lorsque l’auteur marque une différence essentielle entre le critique dramatique et le critique de revue. Pour le premier, il s’agit de publier ses papiers alors que le spectacle est encore en train d’être joué de manière que le lecteur puisse vérifier sur place la validité de ses propos. La rapidité de l’information journalistique s’accompagne d’une logique commerciale : le critique pouvant contribuer en moindre partie au succès économique du spectacle ou à son échec. L’objet théâtral est présent et palpitant. Mais « peut-on parler de critique dramatique pour un article paru dans une revue quelques mois ou un an après le spectacle ? ». Le second finalement, rédacteur de la revue, rend compte d’un autre objet, transformé par le temps et par la mémoire.

Cette distinction a le mérite d’établir une comparaison préservée des échelles de valeurs qualitatives ou quantitatives. Alors qu’il s’agit d’écrire sur un même spectacle, le critique dramatique et le critique de revue parlent de deux objets différents.

Cela permet d’apprendre qu’une critique dramatique lue un an ou plus après sa publication ne fournira pas d’informations aussi précises sur le spectacle qu’une critique de revue : le lecteur y trouvera pourtant un discours sur le spectacle à son stade d’objet palpitant encore au présent.

– La formation à l’écriture critique

Au creux de ces deux réflexions, énoncées d’entrée de jeu, en apparait une troisième, qui concerne la formation du critique dramatique. Les deux textes de 2013 en soulignent l’urgence. L’un (« Le rôle de la critique dans la transmission de la création théâtrale ») pointe la question de la légitimité du critique qui ne peut que s’autoproclamer comme tel, l’autre (« Creuser la distance dans le temps des revues ») vise les nouvelles formes scéniques mouvantes, inclassables, performatives. Ces deux questions sont abordées sous l’angle de la formation. Cela implique le besoin de la recherche d’une troisième voie pour l’écriture critique tiraillée entre la frivolité de l’écriture journalistique et l’hermétisme du langage universitaire.

Le dernier texte « La critique dramatique et les marionnettes : un mariage difficile », publié en 2010, indique une direction possible. Pour la critique dramatique qui a pris conscience de l’existence de l’art de la marionnette, libérée enfin de l’étiquette de genre « jeune public », la prochaine étape sera celle d’en analyser les enjeux au sein même de la création théâtrale.

Prémunie de la célébration vaine et des études sur les techniques des marionnettes, la formation à la critique dramatique viserait plutôt un entrainement à tisser des liens entre les nouvelles et les anciennes formes et l’actualité sociale, à travers l’entreprise qui lui est familière : l’écriture sur les spectacles.

Ce court cahier (92 pages) présente le mérite de rendre son lecteur moins ignorant. Il y apprend des informations essentielles sur la critique dramatique et sur sa pratique quotidienne. Il y découvre le plaisir du lecteur/spectateur, amené à activer ses propres souvenirs et à questionner l’expérience singulière de l’objet théâtral qui évolue dans sa mémoire.

 

Catherine Faivre-Zellner, Firmin Gémier, héraut du théâtre populaire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.
| Par Roger Klotz

 

Cet ouvrage est tiré de la thèse de doctorat que Catherine Faivre-Zellner a rédigée sur Firmin Gémier et le théâtre populaire. Elle a également publié une anthologie des écrits de l’acteur-metteur en scène, « Théâtre populaire, Acte 1 ». Acteur, metteur en scène, directeur de théâtre, Firmin Gémier (1869-1933) demeurait en effet à ce jour mal connu.

En 1892, il travaille au Théâtre Libre créé par André Antoine ; en 1901, il dirige le Théâtre de la Renaissance puis le Théâtre Antoine ; à ce moment-là, il parcourt la France pour présenter des pièces comme Anna Karénine, La Rabouilleuse, Les Gaîtés de l’escadron. De 1922 à 1930, il dirige le Théâtre de l’Odéon. Catherine Faivre-Zellner présente Firmin Gémier comme « un chainon de l’artisanat théâtral moderne ». Son livre n’est pas un panégyrique, il souhaite présenter et faire mieux connaitre « Gémier, homme de théâtre, [qui] est d’abord le représentant d’un mouvement qui, dès l’aube du XXe siècle œuvre pour que d’un monde nouveau naisse un art théâtral novateur ». Dans la préface qui accompagne l’ouvrage, Jean-Pierre Sarrazac affirme à ce sujet : « Savant et engagé, [cet] ouvrage ne se limite pas à la tâche strictement universitaire de situer l’œuvre de Gémier dans son époque. Intempestif, il met en cause notre présent. Le présent d’un théâtre public de plus en plus affadi. De plus en plus coupé de ses racines et incertain de sa vocation ». L’ouvrage s’annonce donc comme une histoire du théâtre est, en même temps, une méditation sur l’art théâtral.

Notes

[1] Bernard Dort, Préface à La Représentation émancipée, Paris, Actes sud, 1988.

[2] Bernard Dort, Théâtre réel, Paris, Seuil, 1971, p. 47.

[3] Peter Brook, L’Espace vide, Paris, Seuil, 1977, p. 171.

[4] Thomas Ferenczi, « La critique entre l’humeur et la théorie », in Daniel County et Alain Rey (dir.), Le Théâtre, Paris, Bordas, 1992, p. 171-184.

[5] Georges Banu, « La critique: utopie et autobiographie », in Théâtre/Public n°50, 1983. Texte repris in Chantal Meyer-Plantureux (dir.), Un siècle de critique dramatique, Paris, Complexe, 2003, p.146.

[6] Georges Banu, « Le regard à mi-pente. Le regard critique: à la recherche de la bonne distance », in Théâtre/Public n.75, mai 1987, p. 25-28.

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