Revue d’Historiographie du Théâtre • N°5 T1 2020
Questionnaire – Écrire l’histoire des spectacles avec des bases de données
Par Marine Roussillon, Christophe Schuwey
Résumé
L’objectif de ce dossier est double. Il s’agit d’abord de partager des expériences concrètes dans le domaine des humanités numériques. Les humanités numériques prennent une place croissante dans la recherche : elles sont aujourd’hui un passage obligé pour toute demande de financement ; les projets se multiplient et chacun bricole avec les outils, les compétences et les moyens à sa disposition. Dans ce contexte, le partage des expériences – non pas seulement des résultats obtenus, mais bien des manières de faire, des difficultés rencontrées, des solutions bricolées – est une nécessité, dont témoignent de plus en plus de séminaires, de numéros de revue et d’ouvrages. C’est dans cette perspective que le questionnaire invite les contributeurs à donner le plus d’informations possible sur les aspects pratiques de leurs projets.
Texte
Questionnaire envoyé aux contributrices et contributeurs
L’objectif de ce dossier est double. Il s’agit d’abord de partager des expériences concrètes dans le domaine des humanités numériques. Les humanités numériques prennent une place croissante dans la recherche : elles sont aujourd’hui un passage obligé pour toute demande de financement ; les projets se multiplient et chacun bricole avec les outils, les compétences et les moyens à sa disposition. Dans ce contexte, le partage des expériences – non pas seulement des résultats obtenus, mais bien des manières de faire, des difficultés rencontrées, des solutions bricolées – est une nécessité, dont témoignent de plus en plus de séminaires, de numéros de revue et d’ouvrages. C’est dans cette perspective que le questionnaire invite les contributeurs à donner le plus d’informations possible sur les aspects pratiques de leurs projets.
Il s’agit aussi, à partir de ces expériences concrètes, d’interroger les enjeux épistémologiques de ces nouveaux outils : quelle histoire sommes-nous en train d’écrire avec ces bases de données ? Quels objets nouveaux permettent-ils de construire ? Quels problèmes méthodologiques posent-ils, quels gains heuristiques rendent-ils possibles ? Quels effets ont-ils sur l’organisation de la recherche ? Les humanités numériques ont donné lieu à une masse théorique importante, souvent assez éloignée des expériences réelles et des apports concrets du numérique à la littérature.
On voudrait ainsi étudier la manière dont les bases de données répondent à des problèmes spécifiques à l’histoire des spectacles. L’écriture de l’histoire des spectacles est prise dans une tension entre d’une part, un phénomène de patrimonialisation – qui fige les évènements éphémères, souvent en s’appuyant sur les textes au détriment des spectacles – et d’autre part des projets de re-enactment, de re-création, qui donnent toute leur place aux performances mais souvent au prix d’une occultation de leur dimension historique : comment les bases de données s’inscrivent-elles dans cette tension ? Pour quels usages se rendent-elles disponibles ? Comment la manière dont elles traitent les écrits et les images (leur conversion en données), la construction d’interfaces qui substituent au récit historique de nouvelles formes de présentation du savoir, viennent-elles mettre en cause l’hégémonie du « texte » dans l’écriture de l’histoire des spectacles, et faire apparaître d’autres objets, d’autres formes ? Dans quelle mesure cela permet-il de produire des savoirs nouveaux, voire de reconfigurer les frontières des disciplines ?
Pour explorer ces différentes questions, nous vous proposons un questionnaire en trois parties. Après une courte présentation de votre projet, vous pourrez expliquer comment vous avez choisi un corpus et l’avez converti en données, avec quelles difficultés et quels effets. Puis un deuxième ensemble de question porte sur le design, la conception de l’interface et les usages possibles de la base de données. Enfin, une dernière série de question porte sur les effets des bases de données sur les structures de la recherche. Les questions sont purement indicatives : elles ont pour but de stimuler la réflexion et de donner une certaine cohérence au dossier. Mais vous êtes bien sûr libres de sélectionner celles qui vous semblent les plus pertinentes pour votre projet, de ne pas traiter certaines des questions posées, et d’en traiter d’autres, que nous aurions oublié mais qui vous sembleraient centrales.
Vos contributions peuvent être abondamment illustrées, comporter des liens, des captures d’écran, des vidéos… Bref, utiliser toutes les ressources de la publication en ligne.
Présentation du ou des projet(s)
Pourquoi avez-vous fait le choix d’élaborer une base de données ? Est-ce le fruit d’une injonction institutionnelle ? Comment cela s’insère-t-il dans un projet de recherche plus vaste ? Pourquoi avoir choisi le numérique plutôt que le papier (ou comment articulez-vous publication numérique et papier) ? En quoi vous semble-t-il important que ces données deviennent accessibles (au-delà des bibliothèques et des archives) ?
Comment l’équipe qui travaille sur la base de données est-elle constituée ? Qui discute des choix scientifiques, techniques ? Quelles sont les disciplines mobilisées (informatique ? sciences de l’information ?) ? Comment les spécialistes de différentes disciplines travaillent-ils ensemble (ou pas) ?
Quels sont les présupposés (disciplinaires, théoriques, techniques) du projet ?
Quels sont les objectifs de la base de données ? Avez-vous déjà de premiers résultats, des retours d’utilisateurs ? Sont-ils conformes à vos attentes ou bien inattendus ? Vous amènent-ils à vous donner des objectifs nouveaux ?
I. Du côté des concepteurs : quels sont les effets de la transformation d’écrits divers en « données » ?
L’élaboration d’une base de données suppose la délimitation d’un corpus – un ensemble de sources, d’évènements… – puis la transformation de ce corpus en données interrogeables automatiquement, et enfin un changement de support, du papier vers le numérique. Aucune de ces opérations n’est neutre. Comment en avez-vous pris en compte les enjeux et quels choix avez-vous fait ? Dans quelle mesure ces opérations ont-elles contribué à créer des objets nouveaux, et lesquels ?
(a) Comment avez-vous constitué le corpus de votre base de données ? S’agit-il d’un fonds cohérent, déjà constitué par d’autres opérations d’archivage inscrites dans une histoire propre ? Ou bien a-t-il été constitué dans la perspective de la base de données, et dans ce cas selon quels critères ? Dans quelle mesure la constitution de ce corpus opère-t-elle des recompositions de corpus existants ?
(b) Comment les documents (écrits, images…) du corpus ont-ils été convertis en données ? Comment avez-vous choisi les données recensées par la base ? Quels obstacles avez-vous rencontrés ? Quels sont les gains et les pertes réalisés dans cette opération ? Du fonds d’archives manuscrites ou imprimées, du corpus de documents à la base de données, quels sont les effets du changement de support ? Comment les avez-vous pris en compte, voire comment avez-vous essayé de les minimiser ?
(c) Plus encore que le récit historique, les techniques mobilisées par la base de données ont pour effet d’objectiver, voire d’essentialiser les résultats qu’elles présentent en les coupant de leur contexte et en occultant les opérations heuristiques qui les ont produits. La donnée est présentée comme un fait objectif, « donné », et pas comme un résultat construit. Certains choix éditoriaux de votre base de données vous semblent-ils susceptibles de limiter cet effet d’essentialisation ? Votre base propose-t-elle une contextualisation des données (et dans ce cas comment cette contextualisation a-t-elle été construite ?) ? un appareil critique ? Quelle place la base donne-t-elle à l’interprétation des données ? Le travail herméneutique est-il explicité ? Renvoyé à d’autres publications, sur d’autres supports ?
II. Du côté des utilisateurs : comment votre base de données influence-t-elle la pensée et la recherche ?
Une base de données n’existe qu’à partir du moment où quelqu’un la consulte et l’utilise. Cela suppose une interface, et cette dernière conditionne la manière dont les données sont appréhendées (leur présentation) et les opérations qui peuvent être réalisées (visualisation, manipulation, etc.). Chaque interface construit donc un nouveau rapport entre les données et les utilisateurs, et modifie ainsi les habitudes de recherche et le rapport à l’objet étudié.
(a) Lors de la conception de votre base de données, quelle importance avez-vous accordée au design et à la conception de l’interface ? Dans quel sens avez-vous pensé les choses : est-ce le corpus (la numérisation des objets) qui a primé (on décide ensuite de la manière de présenter ces données), ou avez-vous réfléchi d’abord à ce que vous vouliez présenter aux utilisateurs ? Avez-vous envisagé différents scénarios d’utilisation ? Avez-vous pensé la base de données de manière à attirer le plus grand nombre d’utilisateurs ? ou un public spécifique ? Comment avez-vous fait connaître votre base de données pour vous assurer qu’elle soit utilisée ?
(b) Souhaitiez-vous contrôler d’une façon ou d’une autre les interactions, la lecture, le rapport à l’objet ou, au contraire, offrir un maximum de liberté (en multipliant par exemple les options et possibilités) ? Comment ces choix se sont-ils traduits, concrètement, sur l’écran ? Quel type de rapport aux objets du passé construisent-ils ? La base de données propose-t-elle un récit historique, une multiplicité de récits ? Avez-vous eu des retours d’utilisateurs réels ? Si oui, correspondent-ils aux usages projetés ?
(c) Comment l’interface de votre base influence-t-elle la recherche en histoire des spectacles ? Dans quelle mesure la manière d’accéder à vos données modifie-t-elle le rapport de la critique à votre corpus, en invitant par exemple les utilisateurs à dépasser le canon, à explorer d’autres sources, en rendant disponible du matériau de recherche nouveau ou difficile d’accès ? Par ailleurs, comment les possibilités du web modifient-elles l’appréhension de votre objet : l’image ou la musique gagnent-elles en importance par rapport à une tradition critique fondée sur le texte ? Quelles sont les conséquences sur le chercheur ?
III. Du côté des infrastructures et des institutions : qui finance, comment, et pour combien de temps ?
Depuis plusieurs années, les humanités numériques soulèvent des problèmes légaux, politiques et financiers auxquels aucune réponse définitive n’a été apportée. Les plans de financement par projet ne sont pas adaptés au fonctionnement des réalisations numériques qui demandent des investissements à long terme. Les bibliothèques savent stocker des livres mais ne sont pas équipées, ni techniquement ni en termes de personnel, pour entretenir les bases de données sur une longue durée. La multiplicité des logiciels et des langages de programmation soulève également des questions d’interopérabilité et de pérennisation. Enfin, le recours à des ressources externes (bibliothèques en ligne du type Googe Books, stockage sur des services d’hébergements privés comme YouTube) inscrit les bases données dans un maillage complexe d’intérêts financiers, politiques et légaux difficiles à démêler.
(a) Qui discute des choix techniques, qui les met en œuvre ? Lors de l’élaboration de votre base, y a-t-il eu une réflexion sur la standardisation des logiciels ou langages utilisés ? Si oui, en retirez-vous des bénéfices concrets en termes de maintenance ? Par ailleurs, y a-t-il eu une réflexion sur l’interopérabilité ? Les données sont-elles exploitables par d’autres projets ? La question a-t-elle été évoquée au moment de l’élaboration du projet ? (Vos réponses sont particulièrement intéressantes en vue d’une étude sur l’évolution des pratiques).
(b) L’élaboration d’une base de données vous a-t-elle amenée à modifier vos pratiques de recherche ? Le projet a-t-il imposé une nouvelle répartition du travail ? la construction de collaborations nouvelles ? Sous quelles formes et avec quels effets sur vos manières de travailler ? Dans quelle mesure les modes de financement ont-ils influencé la réalisation de votre projet (organisation, calendrier, équipes, etc.) ?
(c) De quelles ressources disposez-vous pour l’entretien et la pérennisation de votre base ? Pour les bases existantes, comment celles-ci évoluent-elles avec le temps ? Y a-t-il eu des pannes, si oui, comment celles-ci ont-elles été gérées ?
(d) Votre base recourt-elles à d’autres plateformes, d’autres services (Gallica, Google Books, YouTube…) par le biais de liens ou autre ? Privilégiez-vous certains services (si oui, pourquoi) ? Qu’est-ce que le recours à des services externes a rendu possible ? Quels problèmes sont apparus ? Quelle conséquence le recours à des ressources externes a-t-il sur la manière d’aborder nos objets ? Politiquement ou contractuellement, ce type d’interconnexions est-il mentionné, discuté, limité par vos sources de financement ?
Pour citer cet article
Marine Roussillon, Christophe Schuwey, « Questionnaire – Écrire l’histoire des spectacles avec des bases de données », Revue d’Historiographie du Théâtre numéro 5 [en ligne], mis à jour le 01/01/2020, URL : https://sht.asso.fr/ecrire-lhistoire-des-spectacles-avec-des-bases-de-donnees/