Exposer les programmes de théâtre
Les programmes que conserve la Société d’Histoire du Théâtre sont le reflet de la richesse et de la diversité artistiques, culturelles et sociales de la vie théâtrale en France depuis la fin du XIXe siècle. Plus que de simples programmes, ce sont les témoins d’époques, de modes et de coutumes. Ils permettent de donner un aperçu des différents genres et théâtres prisés. On retrouve ainsi une palette variée et colorée de programmes allant du Guignol au vaudeville en passant par le théâtre lyrique ou encore le music-hall. Il s’agit dans cette exposition, à travers une sélection de programmes issus du fonds Léon Chancerel allant des années 1890 à la mort de ce dernier en 1965, de rendre compte de cette diversité.
Le programme de théâtre apparaît très tôt comme un court journal, lequel peut parfois, par son format, être assimilé à une revue. Il semble être autant (si ce n’est davantage) apprécié pour ses annonces diverses et ses rubriques de mode que pour ses résumés, ses analyses et ses comptes rendus de spectacles. Certains programmes multilingues, comme celui du Théâtre de la Porte Saint-Martin, visent même un public étranger.
En effet, c’est en tant qu’égéries de marques que les acteurs défilent sur la scène théâtrale. Dès lors, les publicités affluent : tailleurs, chapeliers, gantiers… et sont rendues d’autant plus efficaces par la juxtaposition de photos d’artistes et d’icônes. On voit d’ailleurs poindre dans le programme du Théâtre des Variétés la rubrique « chiffons » qui tient le lecteur au courant des dernières nouveautés en matière de mode. Mais bientôt, le programme de théâtre ne se contente plus de traiter de la mode, il devient lui même objet de mode. Ainsi, les théâtres de Marigny et de la Porte Saint-Martin font de leurs programmes des éventails à la disposition du spectateur. En effet, il y a une véritable coquetterie du programme. On joue sur les couleurs, les formes, les matières, les rubans, ou encore les techniques du moment (collage etc.) pour en faire un objet séduisant et attractif. C’est au théâtre qui aura le programme le plus en vogue. La place accordée à la mode rappelle que le théâtre est aussi et surtout un lieu social, un lieu de rencontre, où on voit et où on se donne à voir. Le spectateur devient alors acteur à part entière de cette activité tant sociale qu’artistique.
Dès lors que les acteurs apparaissent comme figures de mode, on peut parler d’iconicité et de vedettariat. Ainsi, les programmes multiplient les biographies d’artistes et les photographies posées. On y trouve également des cartes postales détachables à l’effigie des acteurs ou encore des dédicaces et des caricatures de personnalités mondaines.
Les publicités tiennent une place centrale dans ces programmes et renseignent sur le type de public. Celles-ci sont extrêmement variées. Certaines prennent à parti le théâtre : « Avec un billet de théâtre vous vivez quelques belles heures… vous vivez une belle vie avec un bon billet de la loterie nationale », d’autres s’inscrivent directement dans le spectacle auquel est dédié le programme : « Si vous voulez lire le programme et voir Chanteclair il faut porter les nouveaux verres Telegic ». On trouve également des publicités pour des objets incongrus : tracteurs agricoles, baignoires… ; ou encore pour des pseudo-sciences : voyance, cartomancie, pilules orientales… Mais la publicité permet aussi et surtout de créer un réseau commercial autour du théâtre. On vante ainsi les qualités et les mérites de différents hôtels, différents restaurants ou différents moyens de transport. Dès lors, ce n’est plus seulement le divertissement du spectateur qui est pris en charge par le programme mais bien sa vie sociale et ce même en dehors du temps de la représentation. Par ailleurs les publicités présentes dans les programmes permettent de situer ces derniers dans un contexte socio-politico-culturel précis.
Finalement, la représentation de l’acteur comme icône et égérie de mode ainsi que l’omniprésence de la publicité dans les programmes de théâtre témoignent d’un système de communication qui persiste aujourd’hui.
Enfin, le programme en tant qu’objet d’archives est particulièrement intéressant puisqu’il apparaît comme un outil d’étude et de recherche fertile et fécond qui fait dialoguer un grand nombre de disciplines : arts du spectacle, sociologie, histoire, histoire culturelle, économie, anthropologie… Le programme peut ainsi témoigner de la dimension commerciale des arts du spectacle et permettre d’appréhender l’archive de théâtre sous un angle nouveau. De fait, dès lors que le programme apparaît comme une petite revue théâtrale ou une revue mondaine, le théâtre apparaît comme un espace marchand : les programmes sont en effet payants et incitent le spectateur à consommer. Il y a véritablement une économie du programme avec, par exemple, le reportage photographique, ou encore l’édition des programmes par des entreprises de presse (L’Illustration, Le Photo etc.). De plus, le programme peut être étudié à la lumière d’autres documents de la Société d’Histoire du Théâtre, tels les almanachs et les dossiers de mises en scène, lesquels rendent sa lecture d’autant plus riche.
Ce fonds nous informe de la volonté de la Société d’Histoire du Théâtre de collecter des témoignages de la vie théâtrale. Le programme devient une archive-objet qui témoigne de la matérialité du théâtre. En effet, l’archive-programme, en tant que témoin d’une époque, permet de créer une mémoire plurielle, visuelle et matérielle pour un objet que l’on peut qualifier d’Ephemera.
| Marie Duval
Pour prolonger le plaisir de lire une histoire des programmes de théâtre, on se reportera à l’article de Joël Huthwohl, à qui nous empruntons le titre de notre exposition : « Demandez le programme », dans « Archives, patrimoine et spectacle vivant », Revue de la Bibliothèque nationale de France, 2000, n°5.