La RHT permet de (re)lire en accès libre ce numéro sur le théâtre populaire d'Afrique de l'Ouest, dirigé en 1975 par Alain Ricard. Nous vous invitons à découvrir cette étude toujours pertinente et nouvelle sur le concert-party, tant dans ses sujets que dans sa démarche transversale.
Maëline Le Lay, qui a travaillé aux côtés d'Alain Ricard en assure la présentation : La direction de ce dossier, publié en 1975, fut assurée par Alain Ricard qui était, au moment de son décès le 27 août 2016, directeur de recherche au CNRS. Il était l’un des plus grands spécialistes mondiaux des littératures d’Afrique qu’il abordait dans une perspective anthropologique. En 1975, Alain Ricard était doctorant, il préparait une thèse de littérature comparée à l’Université Bordeaux-Montaigne (ex-Bordeaux 3), sous la direction de Robert Escarpit, thèse qu’il soutint en 1981. Intitulée Texte moyen, texte vulgaire. Essai sur l’écriture en situation de diglossie, cet imposant travail n’a jamais fait l’objet d’une publication spécifique. Il choisit d’en extraire les éléments les plus théoriques pour son essai L’invention du théâtre. Le théâtre et les comédiens en Afrique noire – ouvrage majeur sur le théâtre en Afrique – mais il ne consacra nul livre d’auteur à la description détaillée du concert-party et des autres formes spectaculaires voisines de cette région . Il trouvait alors dans les colonnes de la Revue d’Histoire du Théâtre, une tribune toute trouvée pour publier les premiers résultats de sa recherche doctorale. Les articles réunis ici complètent donc avec bonheur l’essai à visée théorique susmentionné, qu’il publia une dizaine d’années plus tard, en 1986. Aussi il convient de saluer l’initiative de la Société d’Histoire du Théâtre qui a souhaité rendre hommage à Alain Ricard en rééditant ce dossier en version numérique. Les éléments bibliographiques établis par Alain Ricard en fin de dossier permettent de mesurer combien son travail venait alors combler un manque certain dans le champ des études théâtrales relatives à l’Afrique. En France, on ne pouvait alors lire sur le sujet que les seuls ouvrages de Robert Cornevin et Bakary Traoré , dont l’optique différait fortement de celle d’Alain Ricard. En effet, ils composèrent chacun un ouvrage fort généraliste et surtout focalisé sur l’aire francophone, Robert Cornevin ne considérant en outre que le théâtre en langue française.
L’originalité majeure d’Alain Ricard réside dans sa forte volonté de décloisonner des catégories rigidifiées par l’académisme. Il affirme son choix d’une démarche éminemment « traversante » dans l’approche de son objet, approche particulièrement novatrice à l’époque : trandisciplinaire (études littéraires/théâtrales/anthropologie/sociologie), « transmediumnique » (littérature écrite/littérature orale), transnationale (Togo, Ghana, Nigeria), et « transglossique » (français, ewe/mina, yoruba, anglais), le tout envisagé dans une perspective historique. Cette optique resta la sienne tout au long de son parcours de recherche et c’est bien lors de sa thèse – dont nous pouvons lire ici les résultats les plus significatifs – qu’il en posa les premiers jalons.
En effet, ce dossier, quoique intitulé assez largement « Le Théâtre populaire d’Afrique de l’Ouest » porte en réalité sur un ensemble géographique plus restreint et cohérent qu’annoncé : les exemples traités concernent les pays du Golfe du Bénin qui constitue la zone subéquatoriale de l’Afrique de l’Ouest – Togo, Bénin, Ghana, Nigeria – quatre pays frontaliers mais éloignés en bien des domaines par la frontière linguistique entre le français (le Togo et le Bénin, ex-colonies françaises) et l’anglais (le Nigeria et le Ghana, ex-colonies britanniques). Alain Ricard montre toutefois que par-delà cette frontière vécue comme telle de l’intérieur, les formes spectaculaires circulent et s’influencent les unes les autres pour donner naissance à des genres hybrides présentés en détail au gré des articles du numéro.
De son introduction générale comme de ses articles, se dégagent deux grandes idées qui innervent toute son œuvre, et qui, de 1975 à nos jours, se situent résolument à contre-courant des binarismes éculés de l’académisme : celui des études africaines opposant frontalement littérature orale et littérature écrite ; et celui des études littéraires opposant tout aussi systématiquement littérature « populaire » et haute littérature. Tenant d’un côté des propos sans appel sur la rigidité du théâtre scolaire au Togo, sur l’asservissement à la norme du bon français, il nous fait part de sa difficulté à définir le concert-party (une des principales formes de théâtre dit « populaire ») en fonction des seules formes théâtrales reconnues en Occident. Y voyant une sorte de synthèse d’influences de la soirée de conte africaine traditionnelle, des spectacles de music-hall, des veillées-spectacles des chorales et du théâtre à l’italienne, il en conclut qu’il s’agit là d’une forme de spectacle proche du théâtre mais qui ne s’y confond pas entièrement. Les textes réunis dans ce dossier montrent à suffisance qu’il n’a de cesse de chercher à définir les formes spectaculaires d’Afrique (ainsi que les divers textes) par une attention extrêmement soutenue à leurs multiples dimensions, à leurs moindres variations dans le temps et dans l’espace,
Alain Ricard définit ici plus finement encore que dans son ouvrage de 1986 la nature et les ressorts du syncrétisme théâtral tel qu’impulsé par Hubert Ogunde, l’inventeur de l’opéra yoruba. La vie théâtrale du Golfe du Bénin est pour lui symptomatique de la façon dont s’invente le théâtre qu’il définissait comme un processus de syncrétisme (d’aucuns diraient de créolisation) entre des formes anciennes indigènes et des formes importées. Textes à l’appui, il montre bien combien, dans ce théâtre « sauvage » (comme il le qualifie pour signifie son hybridité constitutive), ces hommes de théâtre, d’Hubert Ogunde aux Happy Star de Lomé, ne se contentent pas d’être des « arrangeurs de pots-pourris » (p.30) mais font véritablement acte de créateurs.
Si la majeure partie du dossier est occupée par ses propres apports, il a tenu à intégrer des contributions diverses de collègues, qui viennent tout à la fois résonner avec les siennes et les prolonger, que ce soit par le point de vue du spectateur à partir d’une forme de concert-party pratiquée au Lesotho (Daniel Kunene, qui fut son professeur à UCLA, l’un des premiers qui l’initia aux études africaines), par le point de vue d’un musicologue (David Welch), ou encore par deux contributions plus proches des siennes : celle de Joel Adededji et celle de K.N. Bame. Ces deux derniers démontrent bien les ressorts de la dynamique théâtrale singulière de cette région de l’Afrique de l’Ouest : K.N. Bame en mettant à jour les nécessités sociales qui sont à l’origine de la création d’un genre théâtral hybride ; J. Adededji insistant pour sa part sur l’évolution du genre spectaculaire du concert-party à l’opéra yoruba au gré du vent d’émancipation qui commençait à souffler dans les colonies.
Maëline Le Lay
Trimestre 1 • 1975
Revue d'Histoire du Théâtre • Numéro 105
Le théâtre en Afrique de l’Ouest


Résumé
Sommaire
auteur | titre | page |
---|---|---|
Présentation | 7 | |
K.N. BAME | Des origines et du développement du concert-party au Ghana | 10 |
Joël ADEDEJI | Le concert-party au Nigéria et les débuts d’Hubert Ogunde | 21 |
Alain RICARD | Hubert Ogunde à Lomé | 26 |
David WELCH | La musique traditionnelle dans l’opéra yoruba | 31 |
Alain RICARD | Concours et concert – théâtre scolaire et théâtre populaire au Togo | 44 |
1. Le théâtre scolaire | ||
2. Le théâtre sauvage | ||
3. La cantate | ||
4. Le concert | ||
5. Le mélange des genres | ||
Dan KUNENE | Le public du concert-party au Lesotho dans les années trente | 87 |
Conclusion | 98 | |
Annexes | ||
Orientation bibliographique | 100 | |
Alain RICARD | Essai d’analyse photographique | 101 |
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