Revue d’Histoire du Théâtre • N°275 T3 2017
«Organismi meravigliosi» Les théâtres des casinos de la Riviera italienne (1884-1936)
Par Matteo Paoletti
Résumé
« Organismi meravigliosi ». Les théâtres des casinos de la Riviera italienne (1884-1936)
Entre les années 1860 et la première guerre mondiale, les casinos se multiplient sur le territoire italien, après avoir pris pied en Belgique et en France. Le développement des casinos est rapide et se généralise sur l’ensemble du territoire, mais c’est dans les stations thermales et climatiques que ce nouvel espace trouve le plus de succès : en 1914, sur la Riviera Ligure occidentale en particulier, près de Nice et Monaco, on compte cinq casinos actifs dans les soixante-dix kilomètres qui séparent la frontière de Vintimille de l’extrémité orientale de la ville d’Alassio. En ayant très souvent recours à des capitaux étrangers et en exploitant un cadre réglementaire plutôt flou – qui interdit formellement le jeu de hasard mais qui le tolère en réalité – les casinos se développent pour répondre à une demande de loisirs et de mondanité de plus en plus importante de la part du nouveau tourisme international. Néanmoins, ce sont là des structures pensées pour promouvoir l’économie du spectacle dans des régions défavorisées où les théâtres, les salles de concert et les lieux culturels sont absents ou bien repliés sur des pratiques locales. Sur la Riviera Ligure, grâce aux prestigieuses programmations des théâtres des casinos, un public de plus en plus nombreux, s’ouvrant progressivement à tous les niveaux de l’échelle sociale, a donc la possibilité de découvrir les principales troupes d’opéra, de théâtre et d’opérette italiennes et internationales, y compris l’institution de la troupe stable de Marta Abba et Luigi Pirandello au théâtre du Casino de Sanremo.
« Organismi meravigliosi ». I teatri dei casinò della Riviera italiana (1884-1936)
Nel periodo compreso tra il 1860 e la prima guerra mondiale, i casinò si moltiplicano anche sul territorio italiano, dopo il loro successo in Belgio e Francia. Lo sviluppo dei casinò è rapido e dilagante su tutto il territorio nazionale, ma è nelle località termali e nelle stazioni climatiche che questo nuovo luogo dedicato all’intrattenimento si afferma con maggior convinzione: in particolare nella Riviera ligure di ponente, a un passo da Nizza e da Monte Carlo, lo sviluppo è talmente precoce e capillare che nel 1914 si contano ben cinque casinò attivi nei settanta chilometri compresi tra il confine di Ventimiglia e l’estremo orientale della città di Alassio. Avvalendosi molto spesso di capitali stranieri e sfruttando un quadro normativo incerto – che formalmente vieta il gioco d’azzardo ma di fatto lo tollera – i casinò si espandono per rispondere a una domanda di svago e mondanità sempre più forte nel nascente turismo internazionale, in territori attraversati da profonde trasformazioni sociali, economiche e urbanistiche. Spesso avversato dalle popolazioni locali per la paura di un possibile decadimento morale, il fiorire dei casinò ha tuttavia il grande merito di portare strutture di spettacolo stabili in aree depresse, nelle quali teatri, sale da concerto e ritrovi culturali erano spesso assenti o ripiegati su prospettive paesane. In particolare nella Riviera ligure, in virtù di una programmazione assai ricca e prestigiosa, saranno proprio i teatri dei casinò a offrire a una platea progressivamente ampliatasi verso il basso la possibilità di confrontarsi con le principali compagnie liriche, drammatiche e operettistiche italiane e internazionali, a partire dall’istituzione al Casinò di Sanremo della compagnia stabile di Marta Abba e Luigi Pirandello.
Texte
«La questione adunque è questa: il Casino dev’essere una casa da giuoco, volgarmente detta bisca, oppure una sala o meglio un complesso di sale destinate a divertimenti varii […] con teatro per spettacoli di varietà e di musica, con attigui locali di onesti svaghi sportivi e anche con gabinetto di lettura?
Bravo! – dirà qualcuno – e le spese chi le paga? Certo occorre danaro, e qualcuno bisogna che lo paghi.»[1]
Entre les années 1860 et la première guerre mondiale, les casinos se multiplient sur le territoire italien, après avoir pris pied en Belgique et en France ; il s’agit de structures dont le modèle est importé de France et qui se définissent comme des lieux de détente (kursaals), modernes, à la mode et où les activités culturelles, théâtrales ou musicales, sont le plus souvent financées par les revenus des jeux de hasard. Le développement des casinos est rapide et se généralise sur l’ensemble du territoire, mais c’est dans les stations thermales et climatiques que ce nouvel espace trouve le plus de succès : en 1914, sur la Riviera Ligure occidentale en particulier, près de Nice et Monaco, on compte cinq casinos actifs dans les soixante-dix kilomètres qui séparent la frontière de Vintimille de l’extrémité orientale de la ville d’Alassio.
En ayant très souvent recours à des capitaux étrangers et en exploitant un cadre réglementaire plutôt flou – qui interdit formellement le jeu de hasard mais qui le tolère en réalité – les casinos se développent pour répondre à une demande de loisirs et de mondanité de plus en plus importante de la part du nouveau tourisme international. Dans des territoires marqués par de profondes transformations sociales, économiques et urbanistiques, l’essor des casinos est souvent contrasté de peur que ces installations engendrent une sorte de déchéance morale. Néanmoins, ce sont là des structures pensées pour promouvoir l’économie du spectacle dans des régions défavorisées où les théâtres, les salles de concert et les lieux culturels sont absents ou bien repliés sur des pratiques locales. Sur la Riviera Ligure, grâce aux prestigieuses programmations des théâtres des casinos, un public de plus en plus nombreux, s’ouvrant progressivement à tous les niveaux de l’échelle sociale, a donc la possibilité de découvrir les principales troupes d’opéra, de théâtre et d’opérette italiennes et internationales. L’institution de la troupe stable du théâtre du Casino de Sanremo[2] , San Remo-Marta Abba de Luigi Pirandello, est la plus prestigieuse. Mais le cas d’un espace d’excellence comme celui du Casino de Sanremo ne doit pas faire oublier l’histoire des salles plus modestes qui accueillent, elles aussi et régulièrement, des artistes de premier ordre : depuis 1912, au sein du Casino Municipal d’Alassio, ville dans laquelle il n’y avait pas de théâtre stable jusqu’alors, s’alternent par exemple les troupes principales d’Ermete Zacconi, Achille Majeroni, Virgilio Talli et les English Players d’Edward Stirling. De plus, le Casino d’Alassio devient un point de chute et de rencontre pour les troupes en tournée entre Gênes et le bas Piémont. Certains entrepreneurs intéressés par ce nouveau potentiel économique et culturel de la Riviera Ligure, se spécialisent rapidement : Augusto Lurati réalise des saisons somptueuses à Sanremo et à Montecatini en arrivant à rivaliser avec le Teatro Regio de Turin en s’accaparant les vedettes de l’époque ; Giovanni Tedeschi, lui, harmonise la gestion du Casino d’Ospedaletti avec celle du Kursaal de San Pellegrino Terme, en Lombardie. Personnages jamais étudiés jusqu’à présent, Lurati et Tedeschi, représentent deux cas d’entrepreneurs spécialisés dans la gestion des théâtres de casino, capables d’organiser des saisons entre les salles de la côte et celles des stations thermales.
Cependant, presqu’aucune de ces salles ne survivra aux années 1920 : à partir de 1924, le fascisme déclare l’illégalité du jeu de hasard en ne l’autorisant qu’à Sanremo, au casino de Campione d’Italia, et à Venise. Les casinos qui restent en activité, sur la Riviera et ailleurs, tentent de continuer à produire des spectacles, mais sans la contribution des jeux de hasard, ils ne sont plus en mesure de tenir et plusieurs salles ferment, sont reconverties ou détruites.
Les chercheurs qui se penchent aujourd’hui sur l’histoire des casinos italiens sont confrontés à des sources insuffisantes et lacunaires, et à des témoignages souvent imprécis affairant à des histoires locales. Nous avons principalement eu recours à des documents conservés dans des Archives Communales et d’État, dans la visée de porter au jour la dimension théâtrale des casinos en mettant à l’avant les liens de celle-ci avec l’histoire économique et administrative d’un territoire traversé par de profonds changements.
Des lacunes réglementaires et une position stratégique : aux origines de la spéculation
Nous nous bornerons à prendre en examen l’activité spectaculaire des seuls casinos de la Riviera Ligure occidentale : les maisons de jeu d’Ospedaletti (1884-1926), Balzi Rossi de Vintimille (1911), Alassio (1912-1936), Bordighera (1914-1927) et Sanremo, cette dernière inaugurée en 1905 et toujours en activité. Même si la Ligurie compte d’autres casinos nés dans la même période (en particulier ceux de Pegli et de Rapallo), nous ne les prendront pas en compte car ils répondent à des exigences financières et à des flux touristiques différents[3]. En partant d’un cas d’étude circonscrit mais significatif, nous proposons donc de repérer des tendances propres aux politiques de gestion et au système théâtral de ces casinos. Premièrement, les casinos ouvrent presque toujours grâce aux investissements de sociétés de spéculation étrangères, attirées principalement par les revenus des jeux de hasard, mais aussi par l’exploitation du marché théâtral italien, selon une tendance qui semble se manifester pour la première fois pendant l’ère de Giolitti[4]. Deuxièmement, grâce à l’institution des casinos, on assiste dans les territoires étudiés à un développement en termes d’occupation, d’impact culturel et de revenus fiscaux.
La prolifération de kursaals et de salles de jeux sur la Riviera Ligure occidentale est sans doute favorisée par les prix des terrains et de la main d’œuvre, inférieurs par rapport à la France, et par sa position stratégique : située à deux pas de « Nice, capitale d’hiver », destination d’imposants flux touristiques internationaux[5], la Riviera est pratiquement à la frontière de la « scandaleuse exploitation de Monte-Carlo »[6], point de référence du jeu de hasard depuis les années 1850[7]. Après un voyage en train de quelques minutes, les investisseurs et les touristes se retrouvent dans un territoire similaire à la Côte d’Azur de par son climat et son paysage, mais vierge et moins cher, où ils peuvent engager leurs spéculations sans trop de contraintes légales : en effet, jusque dans les années 1910, il n’existe pas de règlements municipaux en matière de construction en Italie[8] et le jeu de hasard – qui est formellement illégal – prolifère dans l’ambiguïté juridique[9]. Cette ambiguïté entre l’obligation juridique et les pratiques admises par les autorités amènera les casinos des stations balnéaires et thermales à s’organiser en suivant le modèle de Monte-Carlo : le jeu aura lieu dans des salles à part, accessibles seulement après inscription et dont la population locale est exclue (les Circoli dei forestieri, ou Cercles des Etrangers), tandis que jusqu’à la venue du fascisme et au Décret de loi Royal n. 636 du 27 avril 1924 les spectacles se dérouleront dans des locaux ouverts au public[10].
Par conséquent, pendant le dernier quart du XIXe siècle, la Riviera italienne devient une terre de conquête pour les différents réseaux d’investisseurs étrangers. La liaison du réseau ferroviaire de la Ligurie aux lignes européennes projette cette région dans une dimension internationale, en inaugurant ainsi les flux touristiques qui changeront profondément ce territoire frontalier[11], selon un modèle qu’au cours des décennies précédentes avait fait de la Côte d’Azur le buen retiro – la meilleure retraite – pour les touristes du Nord de l’Europe[12]. Le succès du proche casino de Monte-Carlo provoque une ample discussion autour de la création de kursaals ouverts au jeu de hasard : des endroits rentables et nécessaires pour attirer un tourisme d’élite, mais aussi dangereux à cause de la corruption physique et morale dont ils seraient à l’origine. Si quelques hivernants semblent justement apprécier la Riviera italienne pour la « blessed absence of forced amusements »[13], la demande grandissante de mondanité amène des grandes sociétés étrangères à investir en Ligurie. À partir de 1880, c’est la colossale opération de la Société Foncière Lyonnaise qui transforme le village de pêcheurs qu’est alors Ospedaletti dans une destination touristique de renommée internationale.
Ospedaletti, le premier casino italien
En 1880, la société Franco-Ligurienne[14] achète à Ospedaletti un vaste terrain dans l’objectif d’ouvrir une « nouvelle station hivernale », dotée de villas construites sur mesure, d’un grand hôtel, d’un temple protestant (signé par Charles Garnier[15]) et d’un magnifique casino inspiré de celui de Monte-Carlo, dont le projet est confié à l’architecte Sébastien-Marcel Biasini. Le complexe fait l’objet de publicité dans une brochure mettant en évidence la position d’Ospedaletti, proche des plus célèbres Bordighera et San Remo, en en surlignant les qualités uniques et la position stratégique « à 35 minutes de Monaco »[16].
Le Casino d’Ospedaletti a été inauguré en janvier 1884. Il s’agit de la première structure de ce type réalisée en Italie[17]. L’excentricité de la construction, sa fonction mystérieuse et l’apport considérable de capitaux étrangers – objet, qui plus est, de plusieurs interventions de la justice[18] – alimentent la crainte exprimée par les querelles documentées par les journaux locaux que la Société puisse transformer Ospedaletti en une nouvelle Monte-Carlo[19].
La production artistique est surtout consacrée aux concerts symphoniques et lyriques, sans une activité théâtrale remarquable jusqu’aux années 1910. A croire les quelques témoignages qui nous sont parvenus[20], la qualité des divertissements musicaux du « Casino social » d’Ospedaletti semblerait très différente de celle des salles de jeu françaises où – comme l’affirment ironiquement des critiques – « les concerts eux-mêmes, dont on abuse, semblent calculés pour énerver les auditeurs, pour les faire fuir de la salle, où une musique monotone les affole, vers les tables de jeu »[21].
À partir des années 1910, le Crédit Lyonnais néglige progressivement les investissements à l’étranger pour se concentrer sur le marché intérieur et le Casino d’Ospedaletti passe dans les mains d’un entrepreneur spécialisé, Giovanni Tedeschi, déjà gérant du Grand Kursaal de San Pellegrino Terme depuis son inauguration[22]. Dès 1912, Tedeschi fait un véritable travail publicitaire en produisant une carte postale [fig. 1] qui illustre la gestion commune des deux casinos : celui à la montagne, destiné à la saison estivale, et celui sur la Riviera (rebaptisée « Costa Azzurra Italiana ») pour les soins d’hiver. La stratégie promotionnelle reflète l’image d’une Italie qui a profondément changé : à l’aube de la première guerre mondiale, les kursaals et les casinos sont désormais un phénomène courant et généralement admis, malgré l’illégalité formelle. Dans cette période Tedeschi organise régulièrement des saisons musicales et de variété, mais l’absence de noms capables d’attirer l’attention de la presse spécialisée (toute concentrée sur la programmation de Sanremo) et la pauvreté des documents disponibles dans les archives ne permettent pas de reconstruire ces saisons dans leur totalité, en ne nous laissant que des traces fragmentaires[23].
Peu de temps après, la grande guerre et les lois fascistes vont imposer la fermeture des Casino et la reconversion de leur activité. Le Casino d’Ospedaletti, ouvrira de manière sporadique à partir de 1924, et fera office d’abri pour les équipes militaires pendant la deuxième guerre mondiale, pour devenir plus tard une résidence privée et le rester jusqu’à la fin des années 1950. Abandonnée depuis longtemps, la structure fait au jour d’aujourd’hui l’objet d’un débat strictement local sur ses possibilités de reconversion.
L’extraordinaire progression du Casino de Sanremo
Pendant ses premières années de vie, le Casino d’Ospedaletti reste un cas isolé, mais à l’approche du nouveau siècle, la presse et les conseils municipaux de l’Italie entière recommencent à prôner favorablement pour l’ouverture des kursaals et des maisons de jeu. Malgré la persistance du préjugé moral, les casinos commencent à être vus d’un œil favorable en tant que moyen incontournable pour attirer un tourisme d’élite, et pour leur capacité à apporter une grande contribution dans les caisses des villes et des mairies qui en autorisent l’ouverture. À l’exception de répressions ponctuelles imposées périodiquement par le gouvernement, au niveau local la connivence entre les autorités et les gérants des casinos demeure sans failles jusqu’à la venue du fascisme, comme le dénoncent des savoureuses chroniques de l’époque[24].
Le Casino de Sanremo a été inauguré le 14 janvier 1905, après seulement quatorze mois de travaux, avec un Grand Festival sous la direction du Maestro Giannini, avec un orchestre de cent exécutants et un somptueux programme comprenant Bizet, Mendelssohn, Saint-Saëns, Verdi, Rossini, en plus que le Tannhäuser de Wagner et l’exécution d’un ballet – le Ballet de Sylvia par Léo Délibes[25]. Malgré ce premier succès de sa politique culturelle, l’histoire de ce casino sera vite marquée par une polémique autour de son utilité[26]. Et pourtant, le Casino de Sanremo naît grâce au projet d’Eugène Ferret, déjà concepteur de l’Opéra de Saigon, qui se charge de replacer en France les obligations émises par la Ville de Sanremo et assume la gestion de la salle. Avec ces six-cent places, étant la plus grande scène parmi celles de la Riviera, le théâtre du Casino de Sanremo est capable de rivaliser – dans ses meilleurs moments – avec les principaux théâtres d’opéra italiens pour s’assurer les artistes de premier plan. Il suffit d’imaginer qu’en 1909, la star Giannina Russ résilie son contrat avec le Regio de Turin pour chanter pendant la saison de Sanremo, bien plus lucrative, ce qui provoque un litige entre la puissante Società Teatrale Internazionale et l’entrepreneur du casino Augusto Lurati, succédé à Ferret en 1908[27].
Mis à part le Casino de Sanremo, Lurati est également concessionnaire du Casino de Montecatini et il collabore avec August Roque et Jean Archiprêtes, propriétaires du Casino Jetée-Promenade de Nice et du Petit Casino de la Jetée-Promenade de Sanremo[28], qui lui succèderont dans la gestion en 1919. En faisant scandale jusqu’en Parlement, « il famoso Lurati delle bische »[29] a le mérite d’exploiter les revenus du jeu de hasard pour organiser des saisons théâtrales somptueuses, capables d’attirer un public intéressé aussi bien à la culture qu’à la table de jeu. Lurati signe des contrats avec des troupes théâtrales importantes, avec des directeurs d’orchestre et des chefs de troupe prestigieux, notamment avec Gino Marinuzzi, Franco Capuana et Pietro Mascagni. Ce dernier dirigera souvent ses pièces, y compris de toutes dernières compositions comme Il Piccolo Marat et Pinotta. Lurati s’assure également des nouvelles productions, dont il flaire un succès durable et qu’il programme à Sanremo peu après leur grande première : Isabeau de Mascagni s’affirme en janvier 1912, quelques jours après la première italienne à la Scala et à la Fenice[30], et L’Amore dei tre re de Montemezzi pour le Carnaval 1914, après l’énorme succès obtenu à la Scala en avril 1913. En 1910, la compagnie de Giovanni Grasso met en scène dans ce même théâtre la première italienne du Chanteclair de Rostand[31].
Ces années glorieuses s’interrompent en 1915, lorsque l’entrée en guerre de l’Italie provoque la fermeture du Casino de Sanremo en pleine saison, d’où une longue bataille judiciaire entre Lurati, accusé de rupture de contrat, et la Mairie. En 1922, Aldo Locatelli devient le nouveau gérant et il présente des spectacles à la hauteur de son prédécesseur : sa première saison s’ouvre avec Eleonora Duse dans La donna del mare d’Ibsen et avec un concert de Salomea Krusceniski. Dans ces années la qualité de la programmation se reflète dans des choix artistiques remarquables : il faut savoir que dans une période où en Italie les mises en scène des spectacles sont souvent anonymes, le Casino de Sanremo affiche ses propres « registi » dans des metteurs en scène comme Giuseppe Adami et Giovacchino Forzano, habitués du Teatro alla Scala de Milan.
L’appel gouvernemental de 1924 interrompt l’activité du Casino, mais en 1927 l’autorisation de l’exercice du jeu de hasard donne au Théâtre de l’Opéra du Casino de Sanremo un rôle de premier plan ; les importants revenus d’un million et 250 mille lires en 1929, permettent au gérant de l’époque, Luigi De Santis, d’agrandir ultérieurement l’offre de divertissements : se multiplient alors les concerts d’orchestres symphoniques, les soirées de gala, les réveillons et, naturellement, les représentations théâtrales, avec l’engagement des plus grands interprètes de l’époque, comme Maria Melato et Eduardo De Filippo. En 1933, moment culminant de cette nouvelle époque, se constitue la Compagnia Stabile San Remo–Marta Abba, sous la protection de l’auteur Luigi Pirandello, et qui présente immédiatement la première italienne de Quando si è qualcuno et Un mese in campagna d’Ivan Sergeevid Turghenev, engagée par la suite dans de longues tournées nationales sous la direction de l’actrice.
La connexion entre les revenus du jeu de hasard et la somptuosité de ces spectacles est d’autant plus évidente si l’on compare la programmation du Casino de Sanremo après 1927 avec celle du Casino Municipal d’Alassio de la même époque : en ne pouvant plus compter sur les revenus du jeu de hasard, la salle d’Alassio, caractérisée autrefois par une activité culturelle de premier ordre, offre un panorama désolant à la fin des années 1920. Edward Stirling, fondateur de l’English Theatre en tournée à Alassio en 1929, en fait la description :
At Alassio we played in the Casino where the scenery was like that in most Italian theatres, constructed of paper which had been mounted on wooden frames – at least, when I say mounted in the past tense, I am being generous. More often than not the actual work of mounting continued to the accompaniment of chatter as blithe as it was loud, and occasional resonant spitting, through-out the first act. […] When I remonstrated with one of the stage hands, and asked him if he would dare to behave in this way with a company of Italian actors and actresses, he replied: «Naturally, they wouldn’t notice it.»[32]
Le foisonnement des casinos. Vintimille, Bordighera, Alassio
Au début des années 1910, le succès des casinos d’Ospedaletti et de Sanremo conduit à la création de nouvelles maisons de jeu sur toute la Riviera Ligure, mais selon des modalités plus éphémères : bâtis sur des pilotis plantés dans le sable et calés dans les rochés, avec une architecture essentielle et d’énormes baies vitrées donnant sur la mer [fig. 2], le casino de Balzi Rossi de Vintimille (1911), le casino d’Alassio (1912) et le casino de Bordighera (1914) sont des structures temporaires recherchant un retour économique immédiat. Toutefois, on pourrait faire l’hypothèse que ces endroits finissent par s’établir durablement car ils répondaient à une demande de divertissement que ces sites en crise n’arrivent pas à satisfaire autrement. Mais vu le manque de documentation nous passerons sur leur cas, tout en souhaitant néanmoins en évoquer l’existence qui vient constituer un réseau qui nous permet de mieux comprendre l’exemple bien plus intéressant du casino d’Alassio.
L’épopée de la salle d’Alassio est encore un exemple d’une salle née éphémère pour s’établir dans le temps : bâtie en seulement trois mois par une société française en tant que structure provisoire, cette salle va rester le principal lieu de spectacle de la ville jusqu’en 1936, lorsque le mauvais état des lieux rendra nécessaire sa destruction.
Inauguré le 29 juin 1912, le Casino Municipal d’Alassio est une des salles de jeu qui survivent le plus longtemps et l’une des plus intéressantes de la Riviera italienne, même si, jusqu’à présent il n’ait fait l’objet d’aucune étude scientifique[33] : très actif au cours du premier après-guerre, il a accueilli au cours des saisons les plus fortunées des productions de théâtre et d’opéra de premier ordre, dont on peut reconstituer le calendrier grâce aux nombreux périodiques publiés en ville et consacrés au spectacle et au temps libre[34]. La grande disponibilité de sources journalistiques et d’archive permet de développer une recherche très approfondie sur les activités spectaculaires d’Alassio, dont on présente ici les premiers résultats.
Au début du XXe siècle, Alassio est une des stations climatiques les plus renommées de la Riviera, siège depuis longtemps d’une grande colonie anglaise qui se développe dans les année Vingt jusqu’à compter deux mille hivernants sur une population de six mille personnes. L’apport des Anglais pour le développement culturel d’Alassio est aussi important que leur impact sur le plan de l’économie et de l’urbanisme. C’est à la colonie anglaise que ce territoire doit le premier théâtre « stable » par la construction du Hanbury Hall, exclusivement ouvert à la population anglaise, ainsi que la bibliothéque et la pinacothèque – Richard West Memorial Gallery.,C’est toujours à la colonie anglaise que la ville doit d’être souvent devenue la scène des débats les plus actuels sur les tendances artistiques européennes, sur les concerts et les représentations, dont les fameuses pantomimes « ed extravaganzas ». La ville assure ainsi une vitalité intellectuelle et assume une renommée internationale grâce aux personnalités qui y séjournent et s’y produisent – entre autres, l’écrivain D.H. Lawrence, le cinéaste Alfred Hitchcock, qui tourne ici son premier long-métrage en 1925, The Pleasure Garden, ou encore les compositeurs Philip Napier Miles et Edward Elgar, qui compose en 1904 le concert-overture In the South – Alassio[35]. La population locale, elle est en grande partie exclue du bouillonnement culturel de la colonie. Ceci jusqu’au début du 1900 lorsqu’un nouveau et grandissant tourisme intérieur à la recherche de soleil et mondanités intègre cette colonie isolée et fêtarde. En revanche, partout ailleurs en ville, l’offre de loisirs est jusqu’alors beaucoup moins intéressante. La seule salle de la ville, construite en 1906, sous le nom d’Arena, est éphémère et bâtie en bois, avec une couverture également éphémère, en tissus. Même si le directeur de l’Arena, Carlo Feroggio, arrive à garantir une programmation plutôt régulière et assez intéressante (parmi les principaux invités, la troupe d’Ettore Paladini et la Stabile de Rome)[36] pendant ses cinq ans de vie, la structure n’obtient pas les résultats espérés. Le principal journal de la ville explique ainsi l’échec : « ben meschina era la percentualità della popolazione villeggiante che frequentava l’Arena, appunto per la sua poca decenza e poca garanzia igienica.»[37]
En 1911, la construction d’un lieu de spectacle approprié devient donc une exigence pressante : malgré les polémiques, la plupart des citoyens se convainc de la nécessité d’édifier un casino dans les règles :
« ad attrarre un numero sempre maggiore di forestieri – fonte principale della prosperità degli abitanti – fosse necessaria la creazione di un casino-kursaal, sul genere di quelli esistenti a Cannes, a Menton, a Nizza, a San Remo ed in altre città di colonia. »[38]
Au cours des premiers mois de 1912, la Société des Bains de Mer[39] propose, à travers son délégué Julien Botto, la construction à ses dépenses d’un casino-kursaal provisoire qui serait obligé à fournir des spectacles et des divertissements, et à respecter les conventions municipales quant aux jeux[40]. La convention prévoit la cession gratuite du terrain domanial en échange de la reconnaissance d’une contribution annuelle de six mille lires et de la construction, aux dépenses de la société, d’un casino élégant et fastueux qui aurait dû générer un revenu annuel de 40000.00 lires pour la ville avant 1915[41]. On perdra toute trace de cette fabuleuse opération.
En revanche, en se passant vraisemblablement de toute démarche formelle (assemblée, vote), le 19 avril la municipalité autorise la construction du casino-kursaal e le 3 mai la Société des Bains de Mer, responsable de la construction et de la gestion du Casino,[42] se constitue à Nice. En moins de trois mois, le 29 juin, le Casino Municipal d’Alassio est ouvert au public à l’occasion de l’inauguration de l’aqueduc de la ville. L’extraordinaire rapidité des travaux ne doit pas étonner : malgré l’aspect somptueux (les salles sont magnifiquement décorées et meublées par Jean Bosio, peintre de l’Opéra de Nice), l’édifice est une construction éphémère[43].
Le casino est équipé d’un orchestre de trente éléments dirigés par Fagiolari, qui sera apprécié aussi bien lors des concerts, que dans le cadre des fêtes de bal et des spectacles « légers ».
Après seulement trois semaines d’activité lucrative, le Casino d’Alassio tombe sur la vague répressive du gouvernement de Giolitti contre le jeu de hasard : le 21 juillet 1912, un contrôle de la police oblige le cercle des étrangers à fermer. C’est ainsi que vient à manquer « il principale guadagno, il cespite d’entrata su del quale la Società faceva maggiore se non unico assegnamento. E quale prima conseguenza si ebbe la soppressione degli spettacoli di varietà e delle rappresentazioni da caffè-concerto. »[44] Même sans les revenus du jeu, la Société des Bains de Mer arrive tout de même à réaliser une modeste saison d’opérette[45], mais, écrasée par les dettes, elle a déclaré faillite le 17 décembre 1912. Les scellés sont finalement apposés sur les portes du Casino.
Grâce à l’intervention de la Mairie, en janvier le tribunal accorde la concession à Auguste Cauvin Vassal et le théâtre du casino reprend son activité, même si pendant l’hiver, la Hanbury Hall sera le véritable pôle culturel et du spectacle de la ville pour la qualité des spectacles et pour l’attention que la presse leur a prêtée. Cela change à l’arrivée de la saison d’été, lorsque la célèbre troupe d’opérette d’Ugo Bonomi arrive du Politeama de Gênes avec ses 60 artistes. Après la troupe Ponzio-Rocco, du Casino de San Pellegrino Terme, sous la direction de Giovanni Miglia, donne au Casino sa première saison d’opéra (Sonnambula, Lucia di Lammermoor, Fra Diavolo, Linda di Chamounix, Il barbiere di Siviglia, Il Trovatore).
Toutefois, sans les revenus du jeu de hasard et sans financements municipaux, l’option du théâtre s’avère être risquée et peu attractive : au printemps 1914, l’appel d’offre pour la concession est infructueux et l’administration municipale est obligée d’assumer la gestion directe de la salle, reversant aux troupes un pourcentage de 7% sur les revenus bruts et un cachet de 350 lires par jour. Ce mécanisme, très contesté, génèrera, en un seul été, un déficit d’environ 6000 lires, mais réussira à attirer les troupes principales du Politeama Margherita de Gênes : Achille Majeroni, Maurizio Parigi et la star du variété Pina Gioana s’alternent à Alassio.
Pour réduire les dépenses à la charge de la Ville tout en maintenant le niveau artistique acquis, le jeu de hasard reprend dans les salles. Au cours de l’été 1915, la troupe d’opérette Città di Trieste et le grand acteur Ermete Zacconi sont sur la scène du casino d’Alassio[46]. Pendant les années de guerre également, le jeu rendra possibles des productions importantes pour des flux touristiques toujours présents et avec un grand pouvoir d’achat : en 1917, la salle s’assure la permanence de la Compagnia Borelli-Piperno, une des plus importantes d’Italie.
Après la guerre, la situation change : une nouvelle vague de répression amène à des fermetures temporaires de certaines salles de jeu, tandis que le déclin de la colonie hivernale et l’augmentation de l’offre de spectacles en ville rendent la vie du Casino Municipal davantage compliquée. La concurrence pousse les gérants à réaliser des saisons mémorables, soutenues par les revenus du jeu de hasard qui sont désormais devenus imposants, quoique risqués et irréguliers : en 1921, plusieurs troupes s’alternent, la Compagnia Govi, la Pilotto avec la vedette Lea Zanzi, la Città di Roma et la Altieri-Polisseni-Zanchi, avec une troupe de cinquante-quatre éléments, dont les acteurs, les chanteurs et les techniciens, et les décors du peintre de scène du Teatro alla Scala, Antonio Rovescalli.
Malgré la célébrité des invités, le Casino d’Alassio ne réussit pas – contrairement à celui de Sanremo – à organiser ses saisons à l’avance, mais semble plutôt attirer des artistes présents à proximité et qui ont intérêt à ajouter une étape de plus à leur tournée pour optimiser les déplacements[47]. En plus, le théâtre est souvent jugé inadapté pour les spectacles de prose l’été, lorsque la nécessité de garder les fenêtres ouvertes pour aérer provoque des problèmes d’acoustique, que le bruit de la mer résonnant dans toute la salle n’avait pas l’air d’arranger[48].
En 1922 le Casino est surélevé [fig. 3] et doté d’un orchestre stable de 22 éléments. Les invités continuent à être importants : de la troupe d’opérette Vitale à la troupe principale de Virgilio Talli, qui, en août 1924 y trouve un succès phénoménal. Mais la fin approche : pendant l’automne, en vertu du décret de loi du 27 avril 1924, une nouvelle vague répressive provoque la fermeture définitive des salles de jeu. Le Casino d’Alassio continue de fonctionner en tant que cinéma, accueillant de temps en temps des concerts, des réveillons et des représentations théâtrales. Mais la scène devient surtout l’endroit idéal pour les déclarations des dirigeants du Partito Nazionale Fascista lors de leurs passages en ville. Même s’il accueille occasionnellement des troupes importantes comme, par exemple, le dit English Theatre d’Edward Stirling (1929) e la troupe de Sergio Tofano (1930), le Casino Municipal voit son activité diminuer, avec des ouvertures de plus en plus sporadiques. En 1936, il est détruit pour l’agrandissement de la Piazza del Littorio.
Même si en 1936 on parle de le reconstruire, le projet n’aboutira jamais. Après la deuxième guerre mondiale Alassio, Bordighera et d’autres villes ayant eu des casinos par le passé, demandent au gouvernement d’autoriser la réouverture de ces « organismi meravigliosi »[49]. La question fait toujours débat en Italie.
Les résultats que j’ai présentés jusqu’ici d’une recherche en cours, sur l’épopée des casinos de la Riviera Ligure démontre que ces lieux de spectacle méritent l’attention d’études spécifiques et de plus grande ampleur. Tout d’abord, si les théâtres des casinos sont déterminants pour le développement culturel des villes de province, le rôle qu’ils jouent dans la subvention des troupes principales n’est pas moins important. Dans des périodes difficiles – comme durant toute la première guerre mondiale – celles-ci arrivent à maintenir une activité régulière grâce aux spectacles dans les salles des casinos. Ensuite et pour conclure, nous dirions que certains points de cette recherche méritent des investigations ultérieures. Signalons parmi ceux-ci le rôle des entrepreneurs spécialisés, comme Giovanni Tedeschi et Augusto Lurati, lié à l’hypothèse que le fonctionnement des structures de la Ligurie tiendraient à un travail des entrepreneurs spécialisés, capables d’assurer une complémentarité des programmations saisonnières, dans les théâtres de casino de leurs stations balnéaires, ouverts l’hiver, par rapport aux programmations des stations thermales d’autres régions, ouverts l’été. Deux autres points pourraient retenir l’intérêt des chercheurs : les liens entre les salles des casinos et les lieux de spectacle majeurs, ainsi que l’apport des entrepreneurs étrangers du spectacle sur un marché qui leur est historiquement inconnu comme celui du spectacle italien. Ce sont là tous des sujets qui permettraient d’écrire des pages de l’histoire du théâtre de par ses relations avec l’histoire économique et sociale des lieux concernés.
| Matteo Paoletti
[1] « La question est donc la suivante: est-ce que le Casino doit être une maison de jeu, aussi vulgairement appelé tripot, ou bien un complexe de salons consacrés aux loisirs […], avec un théâtre pour les spectacles de variété ou de la musique, avec des salons pour les honnêtes divertissements sportifs et un cabinet de lecture ? Bravo! – dirait quelqu’un – et qui payera les frais ? Bien sûr il faut de l’argent, et quelqu’un doit bien payer. » Nous traduisons. Carlo Castellano, «La questione del Casino», dans Al Mare, a. VII, n. 6, 14 juillet 1912.
[2] Le nom de la ville change avec le temps : San Remo est l’orthographe historique, Sanremo l’orthographe actuelle et institutionnalisée.
[3] Sur les particularités des lieux touristiques liguriens, cfr. Annunziata Berrino, La nascita delle aziende autonome e le politiche di sviluppo locale in Italia tra le due guerre, in Ead. (dir.), Storia del turismo. Annale 2004, Milan, Franco Angeli, 2005, pp. 33-54.
[4] Particulièrement intéressante, par exemple, l’activité de la Società Teatrale Italo Argentina, fondée en 1907 avec des capitaux franco-argentins et engagée dans la gestion de théâtres d’opéra en Italie et Amérique du Sud, comme le Teatro Costanzi de Rome et le Colón de Buenos Aires. Cfr. Matteo Paoletti, Mascagni, Mocchi, Sonzogno. La Società Teatrale Internazionale (1908-1931) e i suoi protagonisti, Bologna, Alma Mater Studiorum, 2015.
[5] Robert de Souza, Nice, Capitale d’hiver, Paris, Berger-Levrault, 1913.
[6] Anonyme, Monte-Carlo devant l’Europe par un homme politique, Paris, Chez Alcan-Levy, 1884, p. 4.
[7] Exploitant l’exclusivité accordée au Prince Florestan I et un cadre réglementaire plus souple qu’en France, en 1856 Albert Auber et Napoleon Langlois implantent les premières structures stables pour le jeu de hasard de la Principauté de Monaco. La spéculation porte en 1863 à la constitution de la Société des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers et à la conséquente construction de l’édifice actuel du casino par Jules Dutrou et Charles Garnier (1878-79). Le Casino de Monte-Carlo devient rapidement la principale source de revenus pour la Principauté de Monaco et une source de polémiques pour le reste de l’Europe. Pour un aperçu actualisé, cfr. Mark Braude, Making Monte-Carlo. A History of Speculation and Spectacle, New York, Simon & Schuster, 2016.
[8] La loi 25 juin 1865, n. 2359, restée en vigueur jusqu’en 1942, n’oblige que les municipalités de plus de dix mille habitants à adopter des règlements en matière de construction (art. 86).
[9] Le Codice Penale Zanardelli, mis en place en 1889 et resté en vigueur jusqu’1930, sanctionne « con l’arresto sino ad un mese », celui qui « tiene un giuoco d’azzardo, o presta all’uopo il locale », mais il tolère le jeu de hasard à l’intérieur de clubs privés.
[10] Le décret permettra d’ouvrir des maisons de jeu, avec l’autorisation gouvernementale uniquement «nelle località che siano da almeno dieci anni sedi di stazioni climatiche, balneari o idrominerali e che non si trovino in prossimità di centri con popolazione superiore ai 200 mila abitanti». Le premier casino reconnu ex lege sera celui de Sanremo (1927), suivi par Campione d’Italia (1933), Venise (1936) et Saint Vincent (1946). Cfr. Andrea Pubusa, Giuoco d’azzardo, in Enciclopedia giuridica Treccani, XV, Rome, 1989, ad vocem; Sergio Beltrani, La disciplina penale dei giochi e delle scommesse, Milan, Giuffrè, 1999; Marco Andrea Manno, Giochi, scommesse e responsabilità penale, Milan, Giuffrè, 2008.
[11] En 1883 le tronçon Calais-Nice-Rome entre en service, suivi par Petersburg-Varsovie-Vienne-Cannes et par le Nord-Sud Brenner express, qui relie Berlin à Cannes passant par la Riviera italienne : l’arrivée du chemin de fer «simbolo di modernità e fattore di rottura dei secolari equilibri preesistenti, concorre a smuovere la situazione e apre così la strada alla nascita di una seconda generazione di località turistiche». Andrea Zanini, Un secolo di turismo in Liguria. Dinamiche, percorsi, attori, Milan, Franco Angeli, 2012, p. 27.
[12] Patrick Howarth, When the Riviera was ours, London, Routledge & Kegan Paul, 1977; Domenico Astengo (dir.), Emanuela Duretto, Massimo Quaini, La scoperta della Riviera: viaggiatori, immagini, paesaggio, Gênes, Sagep, 1982.
[13] “In Alassio there is […] no golf, no casino, no patchoulied peris — in short, none of the usual vulgarities for the vacuous.” William Arkwright, Knowledge and Life, Londres, John Lane, 1913, p. 133. Le mémorial parle d’une réalité qui n’existe plus au moment de la publication.
[14] Créée en 1879 par Henry Germain, fondateur du Crédit Lyonnais, la Foncière Lyonnaise, qui possède la Société Franco-ligurienne, représente à l’époque une des principales sociétés immobilières européennes, avec plus de 300 immeubles et 2000 hectares de terrain entre Paris, la Côte d’Azur, la Belgique et l’Italie. Société foncière lyonnaise (1879-1979), Paris, Société foncière lyonnaise, 1979 ; Michel Lescure, «Le Crédit lyonnais et l’immobilier au XIXe siècle: la société foncière lyonnaise (1879-1913)», dans Bernard Desjardins, Michel Lescure, Roger Nougaret, Alain Plessis, André Straus (dir.), Le Crédit Lyonnais (1863-1986), Genève, Librairie Droz, 2003, pp. 367-383.
[15] L’église ne sera pas réalisée. Cfr. Andrea Folli, Gisella Merello, Charles Garnier e la Riviera, Gênes, Erga, 2000, pp. 196-197.
[16] Ospedaletti (Italie) : nouvelle station hivernale entre Bordighera et San Remo, Paris, Imprimerie Chaix, s.d. [1883?].
[17] Se situant dans un parc de 14.000 mètres carrés, riche en plantes exotiques, le corps central du bâtiment, appelé le Palace, domine la colline derrière le village et est surmonté de pavillons, de terrasses et d’un dôme de 25 mètres de haut.
[18] «On se rappelle qu’en 1883, la cour de cassation de Turin et la cour de Casale déclaraient les achats de terrains faits par la Foncière lyonnaise à Ospedaletti nuls et de nul effet, et ordonnaient leur restitution à leurs anciens propriétaires. […] Lorsque le nouveau propriétaire se présenta à Ospedaletti pour reprendre possession de ses terrains, la Foncière lyonnaise avait obtenu du président de San Remo la mise sous séquestre des boulevards, de telle sorte que le cours de la justice s’est trouvé arrêté, et le procès, après deux ans de lutte, allait recommencer à nouveau.» Le Carnet financier, industriel et commercial, 28 août 1885.
[19] Un seul exemple parmi les très nombreux qui la documentent: «Le Cercle des Etrangers c’est le nom officiel et innocent du tripot de Monte-Carlo, situé dans ce somptueux Palais que avec ces gauches ornements et avec les dorures dont il est surchargé, rappelle l’argent facile et la vanité des richesses disparues sur cet autel du démon du jeu […]. Entretemps, il a été ouvert le grand établissement d’Ospedaletti, hameau que avec les investissements d’une Société française a été transformé de modeste village en lieu fashionable. […] On dit que la Société caresse une idée d’y installer un tripot sur le modèle de Monte-Carlo. Le gouvernement italien fera son devoir, si ces rumeurs devaient se confirmer, et il sauvera San Remo d’une telle peste. Il est vrai que San Remo n’a pas de divertissements et il aura recours aux concerts du Casino d’Ospedaletti, mais il n’en veut pas d’un tripot avec son invasion de cocottes et sa kyrielle de suicide ; il ne veut pas d’émotions fortes. Nice a besoin de la vie bruyante, S. Remo de la vie paisible, et c’est cela que je lui souhaite de tout cœur. », Dans l’article « Da Nizza a San Remo », dans la revue Caffaro du 14 janvier 1884 (supplément au n° 14). La Société franco-ligurienne répond aux craintes du quotidien Caffaro dans le numéro du 22 janvier 1884 en soulignant que « la nombreuse colonie d’Ospedaletti et les visiteurs du Casino appartiennent à l’élite de la bonne société, et surtout aux familles les plus distinguées de l’Italie, de l’Angleterre et de l’Allemagne » et que donc « Ospedaletti et notre établissement se font remarquer comme l’antithèse de quelques autres stations d’hiver de réputation internationale peu dignes d’envie ».
[20] Un seul exemple : «Les distractions nombreuses organisées par le Syndicat d’initiative, à la tête duquel nous citernos les noms de M M. Ambourg, de la Société foncière lyonnaise et du docteur Chevalier Altichieri, qui ont prouvé à la colonie étrangère, importante et élégante, qu’elle avait eu la main heureuse dans son choix d’hivernage. Concerts brillamment exécutés par un orchestre justement apprécié, soirées de musique vocale et instrumentale avec le concours d’excellents artistes, grand bal masqué au cours duquel de ravissantes bannières-souvenirs furent distribuées aux personnes les plus élégamment costumées, bals d’enfants, rien n’a manqué au programme de cet hiver. Le magnifique casino d’Ospedaletti peut d’ailleurs rivaliser avec ceux de nos plus importantes villes d’eaux.» H. Malenfer, «Ospedaletti», dans Revue Illustrée, a. XX, n. 9, 15 avril 1905.
[21] Anonyme, Monte-Carlo devant l’Europe par un homme politique, Paris, Chez Alcan-Levy, 1884, p. 11. Au moins pendant ses premières années d’activité, le Casino d’Ospedaletti reste de toute évidence loin du modèle monégasque : la structure représente les loisirs d’une colonie d’hivernants sélectionnée et sa viabilité financière semble rentrer dans le dessein plus complexe de l’opération immobilière. Cependant, le jeu de hasard a dû faire son apparition à un moment de l’histoire du casino d’Ospedaletti si l’on croit « un vieux connaisseur » qui publie en 1896 un document anonyme dont voici le titre : Considerazioni sulle banche pubbliche da giuoco con speciale riguardo per l’Italia al casino di Ospedaletti. Le document est composé de 24 pages et le lieu d’édition n’est pas indiqué.
[22] Ouvert en 1907, le Grand Kursaal de San Pellegrino («Casino» depuis 1915) naît dans le cadre d’une spéculation italienne – qui, au début du XX siècle – transforme la station thermale alpine en une destination d’élite. Tarcisio Bottani, Il Casinò di San Pellegrino Terme. Storia di un sogno, Bergamo, Corponove, 2011.
[23] Le dépouillement des périodiques ne permet pas de reconstruire le tableau complet des saisons, mais seulement de retrouver quelques titres exceptionnels liés surtout aux grands concerts. Le casino d’Ospedaletti ne fait généralement pas l’objet de la curiosité de la presse théâtrale : les traces d’une activité du spectacle se trouvent paradoxalement dans les croniques des périodiques de la ville de Gênes. Beaucoup mieux documentés, les cas de Sanremo et Alassio, équipés d’une presse locale très attentive au spectacle vivant.
[24] « L’autre soir, alors que la salle du jeu Casino Municipal était pleine d’un public emballé et élégant, […] le jeu a été soudainement suspendu. Alors que le public partait et il se pressait, avec commentaires vifs, à la caisse pour changer les fiches, dans la salle firent incursion un commissaire avec quelques gardes en civil et un sergent de police, et ils ordonnaient l’arrestation au caissier et à un groupe de joueurs qui ne pouvaient pas se faufiler comme le reste du public, des croupiers et des autres employés qui dans la fuite n’avaient pas oublié d’emporter les boîtes des pourboires. [..] Les autres, environ 400 personnes, sont sortis avec les poches pleines de jetons. En caisse, ils ont trouvé 723 lires, qui furent naturellement saisies. La chose curieuse est que le jeu a travaillé ouvertement sous le titre de « Cible automatique » avec le plein consentement du vice-préfet d’Albenga et avec beaucoup de publicité sur des affiches murales. » «Una sorpresa nella sala da giuoco del Casino Municipale di Alassio», dans La Stampa, 11 août 1919.
[25] Le Casino de Sanremo, toujours actif et parmi les plus importants d’Italie, est un des seuls casinos qui fasse l’objet de publications sérieuses : Alberto Alberti e Duilio Cossu, Breve storia dell’azzardo nelle case da giuoco: sua disciplina con particolare riguardo al Casino Municipale di Sanremo, Sanremo, Gandolfi, 1971; Emanuela Duretto (dir.), Maurizia Migliorini, Maria Teresa Verda, Sanremo tra due secoli: arte e architettura di una ville de saison tra ‘800 e ‘900, Gênes, Sagep, 1986, passim; Franco Ragazzi, Teatri storici in Liguria, Gênes, Sagep, 1991, pp. 129-133; Marzia Taruffi (dir.), Uno, cento, mille Casinò di Sanremo. 1905-2015, Gênes, De Ferrari, 2015.
[26] En 1875, la Ville de Sanremo achète un terrain près de la gare ferroviaire pour la construction d’un kursaal et en 1876 une société britannique propose de financer sa réalisation ; mais c’est seulement à partir de 1890 que la question devient urgente et martelante : les flux touristiques sont en train de changer et Sanremo doit choisir sa voie. Tandis que les armateurs plaident la cause de l’industrie et du port de commerce, les entrepreneurs hôteliers soutiennent la nécessité de se doter d’un casino moderne capable d’attirer les élites de la Côte d’Azur. Après des années d’impasse administrative, en 1903 le maire Augusto Mombello délibère pour la construction du Casino Municipal grâce aux capitaux souscrits à Paris par l’ingénieur Eugène Ferret.
[27] À la fin d’une bataille judiciaire, elle est obligée de chanter à Turin. Les fascicules relatifs à cette cause sont conservés à Rome : Archivio Storico Capitolino, Società Teatrale Internazionale, b. 7, fasc. 5. Cfr. Matteo Paoletti, Mascagni, Mocchi, Sonzogno. La Società Teatrale Internazionale (1908-1931) e i suoi protagonisti, Bologna, Alma Mater Studiorum, 2015, p. 128.
[28] La salle, dotée d’un Cercle des étrangers, a été installée pendant l’été 1912 au sein du Stabilimento dei Bagni di Mare.
[29] La polémique parlementaire a été reconstruite dans La Stampa, 16 juin 1922.
[30] La première absolue d’Isabeau a eu lieu le 2 juin 1911 au Colón de Buenos Aires.
[31] La première du 7 février 1910 fut jouée à Paris, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, par Lucien Guitry, Jean Coquelin, Felix Galipaux, Madame Simone.
[32] Edward Stirling, Something to declare. The Story of My English Theatre Abroad, Londres, Frederick Muller, 1942, pp. 81-82.
[33] La seule tentative d’étude est un petit fascicule (neuf feuilles) rédigé par l’historien local Antonio Carossino (Casinò Municipale, Alassio, Alassio, s.n. [1928-1948]) conservé à la Bibliothèque d’Alassio. Même s’il s’agit d’un recueil préliminaire de notes, le document est précieux car il conserve des photocopies de certains documents d’archives qui ont malheureusement disparus.
[34] Les périodiques les plus lus sont : «Al Mare» (1906-1927) et «Il Giornale di Alassio» (1927-1932), en langue italienne, puis «Alassio News» (1923-1929) et «The Italian Riviera» (1926-1930), publiés en anglais à l’attention de la colonie britannique ; ce dernier comprend la contribution de Gobetti sur le théâtre anglais, preuve ultime de la vivacité intellectuelle de ce journal.
[35] Maura Muratorio, Daniel Hanbury e la colonia inglese di Alassio, Alassio, Comune di Alassio, 2000 ; Alessandro Bartoli, The British colonies in the Italian Riviera in ‘‘800 and ‘‘900, Savona, Fondazione A. De Mari, 2008. Sur l’aspect plus précisément théâtral de cette réalité, nous menons actuellement une recherche spécifique.
[36] La gestion de l’Arena est confiée au turinois Carlo Ferroggio, qui alterne des spectacles dramatiques à des projections cinématographiques.
[37] « Très pauvre était le pourcentage de la population de vacances qui fréquentait L’Arena, précisément pour son manque de décence et peu de garantie hygiénique. » Carlo Castellano, «La questione del Casino», dans Al Mare, a. VII, n. 6, 14 juillet 1912. La structure, bâtie en bois, était très modeste et sans couverture.
[38] « Pour attirer un nombre croissant d’étrangers – la source principale de la prospérité des habitants – il était nécessaire de créer un casino-kursaal, sur le genre de ceux existant à Cannes, Menton, Nice, San Remo et d’autres villes de la colonie. » Archives d’État de Savone, Tribunale civile e penale di Finalborgo (1860-1923), Fallimenti, b. 501 (1912-1914), f. Fallimento di Società Bagni di Mare e Casino Municipale di Alassio (risoluto con sentenza 1° febbraio 1913).
[39] Homonyme de la société responsable du Casino de Monte-Carlo, celle qui opéra à Alassio n’a aucune relation avec celle-ci.
[40] « Riservandosi di esercirvi il giuoco in conformità alle pattuizioni convenute ed alle istruzioni del Comune. », ibid..
[41] « Un elegante e fastoso casino stabile di un valore superiore al milione », ibid.
[42] Les associés sont les hommes d’affaires et banquiers parisiens René Blanchet e Leon Cremiux, un groupe de Niçois (l’architecte Maurice Fay, Antoine Canal, Louis Guion, Julien Botto, Ilaire Bruno) et Adolphe Lupi, seul résident en Italie. Le capital social est de L. 80.000.
[43] Projeté par Auguste Cauvin Vassal, le casino a une structure légère appuyée sur la plage pour 970 mètres sur 1130 au total : ses fondations sont un squelette de pilotis en bois avec, au-dessus, une grande véranda qui s’ouvre sur la mer. À l’intérieur, c’est un espace composé d’un hall, avec un café et une billetterie, un grand espace central consacré au théâtre et une piste de skating, et il est doté d’une salle pour le Cercle des étrangers. « Il a toutes les caractéristiques d’une construction temporaire. »Archives de la Mairie d’ Alassio, Ufficio Tecnico Municipale, Relazione di perizia del fabbricato adibito a pubblici spettacoli, denominato Casino Municipale, 25 décembre 1928.
[44] Archives d’État de Savone, Tribunale civile e penale di Finalborgo (1860-1923), Fallimenti, b. 501 (1912-1914), f. Fallimento di Società Bagni di Mare e Casino Municipale di Alassio (risoluto con sentenza 1° febbraio 1913).
[45] Le titre qui a le plus grand succès est Don Pasquale, avec Erminia Castagnoli, Vittorio Braidotti, Ezio Nozzoli et Giuseppe Bartolini. «Al Casino», Al Mare, a. VII, n. 12, 25 août 1912.
[46] Zacconi propose son rôle le plus acclamé: Tristi amori par Gustavo Giacosa.
[47] Par exemple «Giovanni Panipucci […] terminata la sua stagione a Ceva […] da oggi è passato al teatro del Casino Municipale di Alassio dove rimarrà fino all’8 dicembre e poi, sempre pagato, dal 9 al 21 andrà al teatro Comunale di Oneglia». Panipucci ad Alassio, dans «Arte Drammatica», LII, n. 3, 25 novembre 1922.
[48]Al Mare, a. XIX, n. 4 (saison estivale), 22 juillet 1923.
[49] « Organismi meravigliosi, idonei alla riscossione di ingenti tassazioni volontarie di singoli, di individui, nell’interesse di tutti, cioè dello Stato. » La casa da gioco nei suoi veraci aspetti. Mozione dei Comuni di Alassio, Bellagio, Bordighera, Capri, Gardone Riviera, Grado, Montecatini, Rapallo, Rimini, Salsomaggiore, Sorrento, Stresa, Taormina, Viareggio, s. l., s.n., 10 juillet 1948.
Pour citer cet article
Matteo Paoletti, « «Organismi meravigliosi» Les théâtres des casinos de la Riviera italienne (1884-1936) », Revue d’Histoire du Théâtre numéro 275 [en ligne], mis à jour le 01/03/2017, URL : https://sht.asso.fr/organismi-meravigliosi-les-theatres-des-casinos-de-la-riviera-italienne-1884-1936/