Société d'Histoire du Théâtre

Matériaux Théâtre

Léon Guillard : archiviste de la Comédie-Française

Le comble des archivistes — ou bien est-ce sans doute le fruit de leur sagesse — est qu’une fois mort.e.s, elle ou il sombre dans l’oubli. Ils ont passé leur existence à classer les traces du présent, à organiser la conservation de l’activité de leurs contemporains, à valoriser la mémoire des femmes et des hommes du passé mais ces personnages deviennent des absents de l’histoire.

Léon Guillard, archiviste de la Comédie-Française (1810-1878), un hommage

Préface
par Philippe Artières

Le comble des archivistes — ou bien est-ce sans doute le fruit de leur sagesse — est qu’une fois mort.e.s, elle ou il sombre dans l’oubli. Ils ont passé leur existence à classer les traces du présent, à organiser la conservation de l’activité de leurs contemporains, à valoriser la mémoire des femmes et des hommes du passé mais ces personnages deviennent des absents de l’histoire.

L’histoire des archives commence à peine aujourd’hui à être reconnue. Les archives ne sont plus seulement une source mais un véritable objet. Histoire institutionnelle qui croise le grand récit des guerres et des traités, mais aussi histoire des pratiques d’archivages, des manières de classer et de penser les traces du passé. Une historiographie s’est développée depuis les années 1990, notamment autour des conflits d’archives (en Espagne autour des archives de la Guerre civile, En France, avec l’Algérie autour de la guerre d’Indépendance)…

Alors que tout travail d’historien.ne se base d’abord sur le travail des archivistes, sur leurs œuvres, les gestes de conservation qui furent les leurs, les inventaires et les instruments de recherches qu’ils ont produits, ils se font ensuite fantomatiques .

Parfois, sans même le savoir, nous passons des années à leurs côtés, ils sont assis là, dans la salle de lecture des Archives nationale, à Bibliothèque nationale, ssur le site de Richelieu, dans ce centre d’archives départementales ou, encore, dans cette petite pièce d’une institution qui porte sur sa porte les mots « service des archives ». Ils sont les co-auteurs de nos travaux ; mais ces compagnons invisibles de nos recherches ont rarement de noms, au mieux ils figurent dans les remerciements des publications si elles ou ils sont encore de ce monde.

Car l’archiviste est un être collectif ; il n’est jamais seul : il incarne l’institution. Au guichet, dans les inventaires, sa personne se confond avec les Archives. Et puis, il vient presque toujours après. Nous faisons nous mine de l’ignorer mais lui le sait. Elle et Lui le savent car cette mémoire des archives est centrale dans ses faits et gestes. L’archiviste à la différence de l’historien.ne se sait remplaçable, c’est même ce qui motive chacun de ses faits et gestes. Toutes ses inscriptions, tous ses actes d’archivage devront être intelligibles par celles et ceux qui viendront après.

C’est sans doute pour ces raisons que j’ai été touché en découvrant ce texte d’hommage à Léon Guillard (1810-1878), auteur dramatique devenu en 1855 jusqu’à sa mort l’archiviste de la Comédie Française. J’ai lu ce texte de Georges d’Heylli (1833-1902) comme la nouvelle de Flaubert, Un cœur simple. J’ai été ému en imaginant les journées de cet homme partagées entre la compagnie des papiers (autographes précieux, manuscrits, gravures, affiches, éditions variées de textes dramatiques) et celles des comédiens et auteurs du Français. Cet homme qui ne quittait pas le théâtre – il vivait avec son épouse dans l’un des appartements du haut – avait fait de cette maison le lieu où passé et présent habitaient pacifiquement, harmonieusement. Georges de L’Heylli, pseudonyme d’Edouard Poinsot, littérateur, chef de bureau à la Légion d’honneur et fondateur et directeur de la « Gazette anecdotique, littéraire, artistique et bibliographique » (1876-1902), auteur lui-même d’un ouvrage dédié à la Comédie française, a rédigé ce petit texte si juste comme le sont rarement les oraisons funèbres.

Léon Guillard comme Édouard Poinsot m’étaient totalement inconnus avant la lecture de ce texte. Pourquoi republier cet hommage, sans doute parce qu’il est à la fois le portrait d’un archiviste « ordinaire », comme les dix-neuvième et vingtième siècles en comptèrent de très nombreux — brillant, dévoué, passionné, humble, « d’une indulgence absolue » — et une figure dans l’ombre du rideau de la scène dramatique. Les archivistes du spectacle vivant sont plus que tou.te.s leur consœurs et confrères absents. D’abord parce que l’on aime à penser (même si cet état de choses change depuis quelques années) que le spectacle vivant ne laisse pas d’archives, quelques livres parfois seulement, édition des textes joués. Les corps et les voix ne s’archivent pas pense t-on. Or, la figure d’un Guillard rappelle que cet archivage n’est pas nouveau. Déjà, par exemple, les Pastorales médiévales basques firent dès le Seizième siècle l’objet de tentative de transcription, d’une forme de conservation. Il y a des archives du théâtre et ces objets ne sont pas le fruit d’une simple sédimentation mais de l’activité d’hommes, et depuis le milieu du vingtième siècle, de femmes. Comme Guillard, les archivistes ont participé de la vie et la pérennité du théâtre.

Léon Guillard a enfin cette si belle qualité ; il commença sa carrière comme serviteur de l’Etat en assurant le secrétariat du préfet de l’Hérault, son département natal, il devint auteur dramatique et connût un certain succès. Mais, entrant à la Comédie-Française pour prendre en charge ses archives, il renonça à son œuvre pour se mettre au service de celles des dramaturges du passé et du présent. Sans doute, y a t-il quelque chose qui n’est pas sans rapport ici avec la plus grande des qualités d’un comédien, qui est celle de se mettre au service du texte qu’il joue, de s’oublier, de se déprendre de lui-même, pour se faire autre, pour faire entendre l’autre, le faire exister et chaque soir le ressusciter, qu’il soit Dom Juan, Hamlet ou un obscur figurant, un invisible serviteur.

Philippe Artières, avril 2020

Texte numérisé et mis à disposition sur Gallica, bibliothèque numérique de la BnF :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6472790j/f1.item.texteImage

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