On veut ressentir la mer, l’éprouver physiquement… On rêve « d’introduire de l’eau dans le procédé des panoramas » (Patrick Berthier, « Une expérience sans lendemain : le Théâtre nautique », dossier « L’élément liquide au théâtre », Revue d’Histoire du Théâtre, n°205, janvier-mars 2001, p. 19), et, dans ce crescendo immersif, le projet à venir sera celui d’une vraie mer sur scène, et non une toile peinte ou un navire praticable agités en coulisses par des machinistes, dont plus personne ne semble se contenter : « Lorsque l’imitation des objets naturels a fait d’immenses progrès, pourquoi la mer reste-t-elle sur nos théâtres, dans un statu quo désespérant.
Deux brevets témoignent de ce désir de faire du théâtre une plage : Le Panorama Plage et le Théâtre maritime, qui resteront en France à l’état de rêverie aquatique. Dans ces mêmes années 1830-1840, des théâtres nautiques tentent l’aventure, spectaculaire et commerciale. En 1831, Saint-Esteben, un entrepreneur et directeur de théâtre, se voit ainsi accorder un privilège pour ouvrir, dans la salle Ventadour du 2e arrondissement de Paris, un théâtre nautique – projet qui courait depuis quelques années sur le boulevard du Temple, sans parvenir à s’y implanter, et qui s’inspire en tout point du théâtre Tivoli de Londres, constitué d’un immense bassin dans lequel se déroulent des spectacles musicaux. Les difficultés à obtenir les autorisations et les prêts nécessaires à l’opération témoignent toutefois de la méfiance des autorités et des banquiers.
Après six mois de travaux et bien des difficultés à recruter des musicien·ne·s et des danseur·euse·s, le Théâtre nautique, qui est cantonné aux pantomimes mêlées de danse comme le privilège l’y oblige, ouvre cependant ses portes le 10 juin 1834. Esteben souhaite y réunir « toutes les conditions pour rendre avec une vérité presque magique les grands effets d’eau combinés avec les plus beaux accidents de lumière : les vues de rivière, de lacs et de mer ; les levers et les couchers de soleil ; les clairs de lune et les diverses teintes de la nuit ; les chutes d’eau, la pluie, les vagues depuis le calme jusqu’à la tempête ; et partout, l’éclat, le mouvement, la vie » (Archives nationales, F21 1091). Il veut « rendre avec succès l’ondulation, la transparence et le reflet des eaux » (Nicole Wild, « Décorateurs et Costumiers », dans Décors et costumes du XIXe siècle. Tome II : Théâtre et décorateurs).
Ressentir la mer et ses états et représenter sur scène des univers aquatiques imaginaires et mythiques : le double pari de Saint-Esteben repose sur une expérience sensorielle et esthétique tout à fait nouvelle. Très influencé par les panoramas et les aquariums qui fascinent le public parisien, son Théâtre veut montrer de nouvelles curiosités, des corps ondoyant dans l’élément aquatique, des enchantements scintillants où sirènes, explorateurs des confins du monde, ballets orientaux et pagodes multicolores emportent le public dans des univers aussi raffinés que mystérieux et exotiques.
À partir des années 1860, les côtes françaises se dotent de casinos pourvus de salles de théâtre, qui offrent des spectacles et divertissements à cette population en quête de plaisirs. Ces lieux de délassement, mais aussi de représentation de soi dans une liberté nouvelle, se vivent comme le prolongement de la vie parisienne festive. On se promène le long de la plage et sur les promenoirs comme l’on se promène sur les boulevards, exhibant les dernières modes, robes, chapeaux, costumes, tissus légers et vaporeux… (Voir Rémy Campos, « Le “boulevard prolongé”. Les casinos de la côte normande autour de 1910 », Revue d’Histoire du Théâtre, n°275, trimestre 3, 2017).
Par un jeu de reflets entre la ville et le bord de mer, Paris se rêve en villégiature – le théâtre est sa plage, les bords de plateau ses rivages où déambulent des spectateurs insouciants et d’élégantes baigneuses –, l’industrie du spectacle en pleine expansion tente de se saisir de la puissance d’attraction que génèrent ces nouveaux espaces marins. L’espace théâtral se mue en rivage où éprouver, au cœur même de la ville, de nouvelles dramaturgies aquatiques, où ressentir les mouvements, les roulis, les sonorités de l’eau sauvage, où se transformer en touristes et explorateurs. L’ensemble de ces nouveaux frissons, piquant la curiosité de la presse, garantissent les recettes. Les théâtres aquatiques participent ainsi du vaste mouvement de délocalisation/exportation de la nature, qui ne fera que s’amplifier tout au long de la période moderne.
Breveté en 1846 par l’employé Desprez, le Panorama Plage ambitionne d’apporter les bords de mer dans les théâtres. Il ne sera pas appliqué tel quel mais il fait écho aux expériences d’eaux théâtralisées des années 1830-1900, comme le Théâtre nautique, qui ouvre (et referme) ses portes en 1834.
Comme le Panorama-Plage, le Théâtre maritime ne verra pas le jour. Son inventeur, Desprez présente cependant en 1846 un plan de théâtre-mer, d’un bâtiment capable d’accueillir une scène devenue piscine ou bassin, qui rappellele Nouveau Cirque, du célèbre entrepreneur de théâtre et de cabaret Joseph Oller, inauguré en 1886 et qui devient rapidement un temple de l’équitation et des spectacles nautiques, jusqu’à sa fermeture puis sa démolition en 1926. Ces « arènes nautiques » sont conçues par les architectes Aimé Sauffroy et Gustave Gridaine et, contrairement au Théâtre nautique, le bâtiment est adapté à l’accueil d’une piscine. La dimension hydraulique constituant l’argument principal, tout le monument est pensé en harmonie avec l’élément liquide : le Nouveau Cirque est un lieu de spectacle et une piscine.
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