Revue d’Historiographie du Théâtre • N°3 T1 2017
« Ce théâtre n’est pas le nôtre. » Rousseau et Diderot spectateurs de plein air
Par Marc Escola
Résumé
En conflit sur presque tout, Rousseau et Diderot s’accordent au moins sur ce constat : le théâtre de leur temps est un art corrompu, et le siècle a accéléré sa dégénérescence. Le « fantasme grec » qu’ils partagent jusqu’à un certain point est au demeurant celui de toute une génération, on l’a souvent observé. On a moins souligné en revanche que, sous la plume de Rousseau comme de Diderot, la référence au « théâtre des Grecs » constitue moins un saut dans le temps qu’un déplacement dans l’espace, et même une sortie au grand air : le théâtre antique qu’ils convoquent est un théâtre ouvert, et tout s’y joue sous le ciel, devant le peuple assemblé.
Abstract :
Rousseau and Diderot clashed about almost everything, but they both firmly acknowledged that the theatre of their time was artistically corrupt, and its degeneration was accelerating as the century progressed. It has often been noted that the “Greek fantasy” that they shared, upto a point, belonged to their entire generation. Less remarked has been the fact that, in Rousseau’s writing as well as that of Diderot, references to the “Greek theatre” are less a jump in time than they are in space — in fact, they are a jump to the great outdoors. The ancient theatre that they both call upon is an open one, where everything is performed in front of a gathered population under the open sky.
Texte
« Ce théâtre n’est pas le nôtre. »
| Rousseau et Diderot spectateurs de plein air
10 octobre 2013,
À Denis Guénoun,
Qui sait qu’il n’y a pas de théâtre dans un fauteuil.
On doit à une dispute elle-même orageuse quelques-uns des textes les plus fulgurants sinon les plus aveuglants de la théorie dramatique. La dispute, c’est bien sûr celle de Diderot et Rousseau en 1757 ; quant aux textes, on peine à les dénombrer, tant sont nombreux de l’un à l’autre les reprises et échos polémiques – au péril parfois de la chronologie et au rebours souvent des dates de publication. Car Rousseau n’a pas attendu la Lettre à d’Alembert pour formuler ses opinions sur le théâtre : les lettres de Saint-Preux sur les scènes parisiennes datent de 1756, et Diderot a été l’un des premiers à en prendre connaissance, dans le temps même où il achevait Le Fils naturel. Si bien que les Entretiens sur ce Fils naturel pourraient bien devoir quelque chose au dialogue avec Rousseau, destinataire dès février 1757 de l’ensemble encore manuscrit. Quant à la Lettre sur les spectacles, elle est à lire comme une réponse à la théorie du drame nouveau élaborée par Diderot, tout autant sinon plus qu’à l’article « Genève » paru au tome VII de l’Encyclopédie et sous la signature du seul d’Alembert en octobre de la même année. Même adressée à un autre, la Lettre appelait une réplique de Diderot, qui ne la fit pas attendre : dès novembre 1758, il donnait un essai intitulé De la poésie dramatique avec le texte d’une comédie nouvelle : Le Père de famille.
Tout a commencé à vrai dire beaucoup plus tôt : au sortir d’une représentation de Molière ou d’une tragédie de Voltaire, sur un trottoir de la salle des Fossés-Saint-Germain, où les deux amis ont régulièrement refait la pièce – comme on refait le match. La circonstance est trop souvent négligée : Rousseau et Diderot ont été quinze ans en amont spectateurs des mêmes spectacles, également assidus et continûment insatisfaits ; il vaudrait la peine de se pencher sur le répertoire de ces spectacles fantômes – le court palmarès des pièces qui hantent au même titre la Lettre à d’Alembert et l’essai De la Poésie dramatique, au premier rang desquelles figure évidemment Le Misanthrope. En conflit sur presque tout, les deux théoriciens s’accordent au moins sur ce constat : le théâtre de leur temps est un art corrompu, et le siècle a accéléré sa dégénérescence. « Nous n’avons rien épargné pour corrompre le genre dramatique », déclare régulièrement Diderot, laissant à Rousseau le soin d’ajouter seulement : corrompu, le théâtre l’a toujours été, mais il est aujourd’hui pire que jamais. Telle est, sans surprise, la toute première fonction dévolue dans leurs textes respectifs à la référence antique – aux spectacles grecs comme théâtre originaire.
Il n’y a plus, à proprement parler, de spectacles publics. Quel rapport entre nos assemblées au théâtre dans les jours les plus nombreux, et celles du peuple d’Athènes ou de Rome ? (propos prêté à Dorval par Diderot dans le Second Entretien sur Le Fils naturel, 1757[1]).
Non, peuples heureux, ce ne sont pas là vos fêtes ! (Rousseau, Lettre à d’Alembert sur les spectacles, 1758[2]).
Ce constat d’une dégénérescence de l’art théâtral associée à une corruption du goût revêt chez l’un et chez l’autre une signification bien différente, on s’en doute. Il s’accompagne chez Diderot de l’ambition d’une réforme que Rousseau croit résolument impossible : cette affaire-là devait suffire à les séparer définitivement. Ce « fantasme grec » est au demeurant celui de toute une génération, venue au Théâtre des Grecs par l’ouvrage du P. Brumoy (1730) ; et les années 1750 sont un peu partout celles d’un retour à l’Antique : on l’a souvent observé, et beaucoup étudié[3].
On a moins souligné en revanche que, sous la plume de Rousseau comme de Diderot, la référence au « théâtre des Grecs » constitue moins un saut dans le temps qu’un déplacement dans l’espace, et même une sortie au grand air : le théâtre antique qu’ils convoquent est un théâtre ouvert, et tout s’y joue sous le ciel, devant le peuple assemblé. Les Entretiens sur le Fils naturel et la Lettre à d’Alembert sont sur ce point également éloquents.
Commençons par Diderot, et le second des Entretiens sur le Fils Naturel. Son plaidoyer pour une réforme architecturale qui donnerait à la scène moderne l’ouverture qui caractérise le théâtre antique en le rendant susceptible de représenter plusieurs actions simultanées, s’ancre dans une anecdote saisissante – le récit par Dorval d’une aventure survenue à Paris –, anecdote sans nul doute apocryphe mais révélatrice du statut des « salles de spectacles » contemporaines aux yeux du philosophe.
J’avais un ami un peu libertin. Il se fit une affaire sérieuse en province. Il fallut se dérober aux suites qu’elle pouvait avoir, en se réfugiant dans la capitale ; et il vint s’établir chez moi. Un jour de spectacle, comme je cherchais à désennuyer mon prisonnier, je lui proposai d’aller au spectacle. Je ne sais auquel des trois [i.e. les trois salles sous contrôle de l’État : l’Opéra, la Comédie-Française, la Comédie-Italienne]. Cela est indifférent à mon histoire. Mon ami accepte. Je le conduis. Nous arrivons ; mais à l’aspect de ces gardes répandus, de ces petits guichets obscurs qui servent d’entrée, et de ce trou fermé d’une grille de fer, par lequel on distribue les billets, le jeune homme s’imagine qu’il est à la porte d’une maison de force, et que l’on a obtenu un ordre pour l’y renfermer. Comme il est brave, il s’arrête de pied ferme ; il met la main sur la garde de son épée ; et, tournant sur moi des yeux indignés, il s’écrie, sur un ton mêlé de fureur et de mépris : « Ah ! mon ami ! ». Je le comprends. Je le rassurai ; et vous conviendrez que son erreur n’était pas déplacée….
La salle de théâtre comme « maison de force » : l’image doit, si l’on ose dire, nous arrêter, en même temps que la « grille de fer ». Elle a apparemment frappé les contemporains de Diderot : on la retrouve près de vingt ans plus tard dans l’article « Théâtre » de l’Encyclopédie, rédigé par Louis de Jaucourt à la façon d’une notice archéologique tout entière consacrée à l’architecture du théâtre antique.
Comme le spectacle chez les anciens se donnait dans des occasions de fêtes et de triomphes, il demandait un théâtre immense et des cirques ouverts ; mais comme parmi les modernes, la foule des spectateurs est médiocre, leur théâtre a peu d’étendue et n’offre qu’un édifice mesquin, dont les portes ressemblent parmi nous aux portes d’une prison où l’on a mis des gardes.
L’image semble hanter Diderot au point qu’elle vient encore sous sa plume dans la célèbre lettre à Mme Riccoboni, datée du 27 novembre 1758 :
Tenez, mon amie, je n’ai pas été dix fois au spectacle depuis quinze ans. Le faux de tout ce qui s’y fait m’ennuie. […]
Il y a quinze ans que nos théâtres étaient des lieux de tumulte […]. Les têtes les plus froides s’échauffaient en y entrant, et les hommes sensés y partageaient plus ou moins le transport des fous. On entendait, d’un côté, place aux dames ; d’un autre côté, haut les bras, monsieur l’abbé ; ailleurs, à bas le chapeau ; de tous côtés, paix là, paix la cabale. On s’agitait, on se remuait, on se poussait ; l’âme était mise hors d’elle-même. Or, je ne connais pas de disposition plus favorable au poète. La pièce commençait avec peine, était souvent interrompue ; mais survenait-il un bel endroit ? c’était un fracas incroyable, les bis se redemandaient sans fin, on s’enthousiasmait de l’auteur, de l’acteur et de l’actrice. L’engouement passait du parterre à l’amphithéâtre, et de l’amphithéâtre aux loges. On était arrivé avec chaleur, on s’en retournait dans l’ivresse ; les uns allaient chez des filles, les autres se répandaient dans le monde ; c’était comme un orage qui allait se dissiper au loin, et dont le murmure durait encore longtemps après qu’il était écarté. Voilà le plaisir. Aujourd’hui on arrive froids, on écoute froids, on sort froids, et je ne sais où l’on va. Ces fusiliers insolents préposés à droite et à gauche pour tempérer les transports de mon admiration, de ma sensibilité et de ma joie, et qui font de nos théâtres des endroits plus tranquilles et plus décents que des temples, me choquent singulièrement.
Diderot voit comme des « fusiliers insolents » les soldats préposés au maintien de l’ordre – à l’instar du « dispositif policier » déployé de nos jours aux portes des stades de football. La mesure de police décidée dès la fin du XVIIe siècle semble être entrée en vigueur lentement dans les premières décennies du XVIIIe : « quinze ans » en amont, les salles parisiennes étaient le lieu de tous les enthousiasmes et de toutes les passions ; si la date est exacte, la salle dont Diderot garde le souvenir serait l’une de celles qu’il a fréquentées en 1743, lors de la première saison théâtrale partagée avec Rousseau. On ne s’étonnera donc pas que Jean-Jacques puisse recourir par deux fois à la même image au sein de la Lettre sur les spectacles – dans le développement central sur la moralité des comédiens et le statut d’une profession mercenaire, puis dans l’invitation paradoxale sur laquelle le Citoyen de Genève achève son réquisitoire, et où figure la déclaration déjà alléguée.
Leurs Spectacles [des Grecs] n’avoient rien de la mesquinerie de ceux d’aujourd’hui. Leurs Théâtres n’étoient point élevés par l’intérêt & par l’avarice ; ils n’étoient point renfermés dans d’obscures prisons ; leurs Acteurs n’avoient pas besoin de mettre à contribution les Spectateurs, ni de compter du coin de l’œil les gens qu’ils voyoient passer la porte, pour être sûrs de leur souper.
Ces grands & superbes Spectacles donnés sous le Ciel, à la face de toute une nation, n’offroient de toutes parts que des combats, des victoires, des prix, des objets capables d’inspirer aux Grecs une ardente émulation, & d’échauffer leurs cœurs de sentimens d’honneur & de gloire. C’est au milieu de cet imposant appareil, si propre à élever & remuer l’âme, que les Acteurs, animes du même zèle, partageoient, selon leurs talens, les honneurs rendus aux vainqueurs des jeux, souvent aux premiers hommes de la nation. […]
Quoi ! ne faut-il donc aucun Spectacle dans une République ? Au contraire, il en faut beaucoup. C’est dans les Républiques qu’ils sont nés, c’est dans leur sein qu’on les voit briller avec un véritable air de fête. À quels peuples convient-il mieux de s’assembler souvent & de former entre eux les doux liens du plaisir & de la joie, qu’à ceux qui ont tant de raisons de s’aimer & de rester à jamais unis ? Nous avons déjà plusieurs de ces fêtes publiques ; ayons-en davantage encore, je n’en serai que plus charmé. Mais n’adoptons point ces Spectacles exclusifs qui renferment tristement un petit nombre de gens dans un antre obscur ; qui les tiennent craintifs & immobiles dans le silence & l’inaction ; qui n’offrent aux yeux que cloisons, que pointes de fer, que soldats, qu’affligeantes images de la servitude & de l’inégalité. Non, Peuples heureux, ce ne sont pas là vos fêtes ! C’est en plein air, c’est sous le ciel qu’il faut vous rassembler & vous livrer au doux sentiment de votre bonheur. Que vos plaisirs ne soient, effémines ni mercenaires, que rien de ce qui sent la contrainte & l’intérêt ne les empoisonne, qu’ils soient libres & généreux comme vous ; que le soleil éclaire vos innocens Spectacles ; vous en formerez un vous-mêmes, le plus digne qu’il puisse éclairer.
Le peuple n’est heureux qu’au grand air, et l’on voudrait qu’il se plaise en prison ? Le passage est célèbre, tout comme la longue évocation de la fête républicaine qui lui fait immédiatement suite. On ne s’approche pas sans frémir de ces pages : on sait que leur interprétation constitue le point de départ de J. Starobinski dans La Transparence et l’Obstacle (1957 pour la première édition), mais aussi – selon une visée polémique qui appellerait en elle-même un long commentaire – le point d’aboutissement de J. Derrida dans De la Grammatologie (1967).
S’il est permis d’ajouter au(x) mot(s) de ces illustres interprètes, dont les ouvrages se regardent comme les deux chiens de faïence de notre modernité critique, on risquera cette proposition qui doit évidemment beaucoup aux patientes analyses du critique comme aux intuitions décisives du philosophe : la référence au théâtre grec comme « cirque ouvert » n’est pas destinée à faire entrer de l’air frais dans le théâtre français, ou à ouvrir les portes de ces « prisons » que sont les salles – elle est chez Diderot comme chez Rousseau une façon d’amener le public au grand jour. C’est moins l’air qui importe que la lumière. Pourquoi ? Parce qu’il faut que les spectateurs se voient : que chacun puisse s’éprouver, sous le ciel et au grand jour, comme acteur du spectacle en se voyant regardé par tous les autres. Telle est la première condition qui peut faire du public autre chose qu’un agrégat d’âmes « froides » : un peuple. Et un peuple n’est un peuple qu’à la face du ciel, s’il peut se donner à lui-même le spectacle de son libre assemblement, en s’éprouvant dès lors comme communauté – comme corps politique.
Ainsi formulée – amener le public en pleine lumière, c’est lui permettre de se reconnaître comme peuple dans le moment de son assemblement –, la proposition paraît forgée à partir du seul texte de Rousseau. Et pourtant : il semble que Diderot ne défende pas sur ce point une option bien différente ; il suffit de se rendre attentif à l’interpellation qui fait immédiatement suite au constat déjà rappelé.
Il n’y a plus, à proprement parler, de spectacles publics. Quel rapport entre nos assemblées au théâtre dans les jours les plus nombreux, et celles du peuple d’Athènes ou de Rome ? Les théâtres anciens recevaient jusqu’à
quatre-vingt mille citoyens. […]
Jugez de la force d’un grand concours de spectateurs, par ce que vous savez vous-même de l’action des hommes les uns sur les autres […]. Quarante à cinquante mille hommes ne se contiennent pas par décence. Et s’il arrivait à un grand personnage de la République de verser une larme, quel effet croyez-vous que sa douleur pût produire sur le reste des spectateurs ? Y a-t-il rien de plus pathétique que la douleur d’un homme vénérable ?
Celui qui ne sent pas augmenter sa sensation par le plus grand nombre de ceux qui la partagent, a quelque vice secret ; il y a dans son caractère je ne sais quoi de solitaire qui me déplaît.
Mais si le concours d’un grand nombre d’hommes devait ajouter à l’émotion du spectateur, quelle influence ne devait-il point avoir sur les auteurs, sur les acteurs ? Quelle différence, entre amuser tel jour, depuis telle heure, dans un petit endroit obscur, quelques centaines de personnes ; ou fixer l’attention d’une nation entière dans ses jours solennels, occuper ses édifices les plus somptueux, et voir ces édifices environnés et remplis d’une multitude innombrable, dont l’amusement ou l’ennui va dépendre de notre talent ?
La question soulevée est bien celle de l’effet sur l’ensemble des spectateurs du spectacle donné par l’un d’entre eux – chacun étant susceptible de venir tour à tour sous le regard des autres. Cette contagion passionnelle serait évidemment très suspecte à Rousseau, et l’on ne peut se défendre de lire dans l’alinéa qui vise « le solitaire » une allusion directe au départ de Jean-Jacques, et comme un écho au mot de Constance à Dorval dans Le Fils naturel (IV, 3) : « Il n’y a que le méchant qui soit seul ». Il reste que la référence au théâtre antique, d’abord vouée à illustrer la « principale ressource » dont le « génie d’aujourd’hui [est] encore privé » – à savoir le « concours » d’un grand nombre de spectateurs – vient ici signaler que l’ouverture de l’espace théâtral est la condition d’une visibilité des spectateurs par eux-mêmes. Non sans tensions (on n’ose plus dire : sans paradoxe) dans la citation même, qui fait bon marché de la vraisemblance topographique : quelle apparence que quarante mille spectateurs puissent voir simultanément une même larme couler sur la joue d’un « grand personnage de la République » ?
Entrons maintenant sur les pas de Rousseau dans la fête républicaine. Si la fête n’est pas un spectacle aux yeux de Jean-Jacques, et si une République en a intrinsèquement besoin alors qu’elle serait irréversiblement corrompue d’accueillir une seule représentation théâtrale, c’est que les réjouissances populaires reposent sur la parfaite réversibilité des rôles entre regardants et regardés – tous se tiennent dans la même lumière, et le public y est à lui-même le spectacle :
Mais quels seront enfin les objets de ces Spectacles ? Qu’y montrera-t-on ? Rien, si l’on veut. Avec la liberté, partout où règne l’affluence, le bien-être y regne aussi. Plantez au milieu d’une place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le Peuple, & vous aurez une fête. Faites mieux encore : donnez les spectateurs en spectacle ; rendez-les acteurs eux-memes ; faites que chacun se voye & s’aime dans les autres, afin que tous en soient mieux unis.
On a beaucoup ironisé sur ce passage : un piquet couronné de fleurs, ce serait donc cela le spectacle de l’avenir ? Comme l’a signalé l’un des commentateurs les plus avisés de la pensée de Rousseau sur le théâtre[4], c’est le rien qui doit ici nous importer : la fête ne donne rien d’autre à voir que l’attroupement en cercle de l’assemblée ; au centre, il n’y a rien — le piquet n’a pas d’autre fonction que de permettre de faire le cercle autour de lui, pour que chacun puisse se tenir sous le regard de chacun et de tous ; s’il n’y a pas de scène dans la contemplation de laquelle s’abîmer, s’il n’y a rien à voir, alors on peut se regarder : les spectateurs n’ont rien d’autre à contempler qu’eux-mêmes. Voilà pourquoi la cité n’a nul besoin d’acteurs : tous les citoyens y sont acteurs indifféremment, au même titre et tour à tour ; c’est cela que les réjouissances populaires donnent à voir : la fête naît de l’indistinction entre regardants et regardés, comme la démocratie tient dans l’indistinction des gouvernants et des gouvernés. Que chacun puisse se voir en chacun comme en son exact semblable, tous jouissant de la commune présence en s’éprouvant collectivement comme peuple : pour cela, il faut sortir sur la place publique et en pleine lumière. Le grand air et le plein jour : la fête n’a besoin de rien d’autre pour « briller ».
Cette évocation est à lire sous un autre éclairage encore, celui de l’acte contractuel dans le Contrat social (I, 6), comme J. Starobinski et J. Derrida après lui nous ont appris à le faire : « la joie publique nous offre l’aspect lyrique de la volonté générale, c’est l’aspect qu’elle prend en habit du dimanche », selon l’heureuse formule du premier[5]. « Faites que chacun se voie et s’aime dans les autres, afin que tous soient mieux unis » : le vœu de Rousseau au terme de la Lettre à d’Alembert dit à sa façon la double condition du citoyen après la conclusion du contrat, qui le fait à la fois « membre du Souverain » et « membre de l’État » — c’est le principe même de l’aliénation simultanée de toutes les volontés dans la volonté générale. L’évocation de la fête doit donc se lire comme une illustration de cet « acte par lequel un peuple est un peuple », lequel est « le vrai fondement de la société », en amont même de toute délibération politique (Contrat social, I, 5). L’être du peuple n’est pas une essence : cet être est le fait d’un acte — l’acte de s’assembler en pleine lumière pour se donner à lui-même le spectacle de son assemblement.
Mais comment expliquer alors que ce soit sur ce point précis que Rousseau s’oblige à couper le fil qui relie la fête républicaine au monde grec ? Là où on attendrait l’affirmation d’une continuité et la célébration d’une origine à laquelle la cité devrait sans cesse faire retour, Jean-Jacques va chercher dans le présent, « parmi nous », la possibilité d’un avenir :
Je n’ai pas besoin de renvoyer aux jeux des anciens Grecs : il en est de plus modernes, il en est d’existans encore, & je les trouve précisément parmi nous. Nous avons tous les ans des revues, des prix publics, des Rois de l’arquebuse, du canon, de la navigation. On ne peut trop multiplier des établissemens si utiles & si agréables ; on ne peut trop avoir de semblables Rois. Pourquoi ne ferions-nous pas, pour nous rendre dispos & robustes, ce que nous faisons pour nous exercer aux armes ? La République a-t-elle moins besoin d’ouvriers que de soldats ? Pourquoi, sur le modèle des prix militaires, ne fonderions-nous pas d’autres prix de Gymnastique, pour la lutte, pour la course, pour le disque, pour divers exercices du corps ? Pourquoi n’animerions-nous pas nos Bateliers par des joutes sur le Lac ? Y auroit-il au monde un plus brillant spectacle que de voir sur ce vaste & superbe bassin, des centaines de bateaux, élégamment équipés, partir à la fois au signal donné, pour aller enlever un drapeau arboré au but, puis servir de cortège au vainqueur revenant en triomphe recevoir le prix mérité.
Il y faut encore un piquet : le « drapeau arboré » au milieu du lac n’a pas d’autre fonction que de permettre aux participants de la régate de se déployer en un cercle où ils seront tour à tour regardants et regardés. Qu’importe qu’il n’y ait qu’un vainqueur : il ne fera pas d’autre trajet que celui de la course puis du cortège. Pourquoi Jean-Jacques nous donne-t-il ce tableau-là au lieu d’une référence au théâtre grec comme fête pleinement civique ?
La première réponse est celle que suggère J. Starobinski : la lumière qui brille sur le lac, c’est celle d’un souvenir d’enfance, et elle éclipse tous les soleils de la Grèce ; l’ultime page de la Lettre sur les spectacles offre dans une dernière note de bas de page cette longue confidence qui aurait mieux sa place dans les Confessions, où on la chercherait en vain :
Je me souviens d’avoir été frappé dans mon enfance d’un spectacle assez simple, & dont pourtant l’impression m’est toujours restée, malgré le tems & la diversité des objets. Le Régiment de St. Gervais avoit fait l’exercice, &, selon la coutume, on avoit soupé par compagnies ; la plupart de ceux qui les composoient se rassemblèrent après le soupé dans la place de St. Gervais, & se mirent à danser tous ensemble, officiers & soldats, autour de la fontaine, sur le bassin de laquelle étoient montés les Tambours, les Fifres, & ceux qui portoient les flambeaux. Une danse de gens égayés par un long repas sembleroit n’offrir rien de fort intéressant à voir ; cependant, l’accord de cinq ou six cents hommes en uniforme, se tenant tous par la main, & formant une longue bande qui serpentoit en cadence & sans confusion, avec mille tours & retours, mille espèces d’évolutions figurées, le choix des airs qui les animoient, le bruit des tambours, l’éclat des flambeaux, un certain appareil militaire au sein du plaisir, tout cela formoit une sensation très-vive qu’on ne pouvoit supporter de sang-froid. Il étoit tard, les femmes étoient couchées, toutes se relevèrent. Bientôt les fenêtres furent pleines de spectatrices qui donnoient un nouveau zèle aux acteurs ; elles ne purent tenir long-tems à leurs fenêtres, elles descendirent ; les maîtresses venoient voir leurs maris, les servantes apportoient du vin, les enfans mêmes éveillés par le bruit accoururent demi-vêtus entre les pères & les mères. La danse fut suspendue ; ce ne furent qu’embrassemens, ris, santés, caresses. Il résulta de tout cela un attendrissement général que je ne saurois peindre, mais que, dans l’allégresse universelle, on éprouve assez naturellement au milieu de tout ce qui nous est cher. Mon père, en m’embrassant, fut saisi d’un tressaillement que je crois sentir & partager encore. Jean-Jacques, me disoit-il, aime ton pays. Vois-tu ces bons Genevois ; ils sont tous amis, ils sont tous frères ; la joie & la concorde règne au milieu d’eux. Tu es Genevois : tu verras un jour d’autres peuples ; mais, quand tu voyagerois autant que ton père, tu ne trouveras jamais leur pareil.
On voulut recommencer la danse, il n’y eut plus moyen : on ne savoit plus ce qu’on faisoit, toutes les têtes étoient tournées d’une ivresse plus douce que celle du vin. Après avoir resté quelque tems encore à rire & à causer sur la place, il fallut se séparer, chacun se retira paisiblement avec sa famille ; & voilà comment ces aimables & prudentes femmes ramenèrent leurs maris, non pas en troublant leurs plaisirs, mais en allant les partager. Je sens bien que ce Spectacle dont je fus si touché seroit sans attrait pour mille autres : il faut des yeux faits pour le voir, & un cœur fait pour le sentir. Non, il n’y a de pure joie que la joie publique, & les vrais sentimens de la Nature ne règnent que sur le peuple. Ah ! Dignité, fille de l’orgueil & mère de l’ennui, jamais tes tristes esclaves eurent-ils un pareil moment en leur vie ?
Un fantasme originaire peut en chasser un autre : pour décrire le passage de l’attroupement à la concorde publique[6], dans le cercle formé autour du bassin de la fontaine, le souvenir personnel se substitue à la référence grecque, le passé le plus récent à la plus haute antiquité et le fait particulier à la mémoire des œuvres. Le déplacement dans le temps est aussi inutile que le voyage ethnographique : difficile de ne pas lire dans cette note elle-même spectaculaire le fantasme d’un retour vers la cité maternelle, formulé par celui qui signe du seul titre de « Citoyen de Genève » la lettre adressée « à M. d’Alembert, de l’Académie française, de l’Académie Royale des Sciences de Paris, de celle de Prusse, de la Société Royale de Londres, de l’Académie des Belles-Lettres de Suède et de l’Institut de Bologne ».
« Terminons ces nombreuses digressions. Grâce au Ciel, voici la dernière » : une plus longue analyse montrerait que les dernières pages de la Lettre, dans l’intervalle qui sépare l’évocation des joutes sur le lac de la description (en note) des réjouissances de Saint-Gervais, sont construites sur une série d’oppositions et une manière de chiasme, où la référence aux fêtes lacédémoniennes permet à Rousseau d’être « rappelé » à Genève par la voix de Sparte pour ramener sur les bords du Léman le souvenir des spectacles anciens, et dire alors avec les mots de Sparte la possibilité d’un spectacle authentiquement républicain.
Mais peut-être faut-il avancer une hypothèse différente pour expliquer l’éclipse des « jeux des anciens Grecs » au point précis de la démonstration où l’exemple de la fête civique antique serait le plus probant. Hypothèse moins biographique que politique : « l’acte par lequel un peuple est un peuple » requiert une autre condition que la réunion en pleine lumière — une condition que la référence au théâtre antique ne permet en aucun cas d’énoncer mais que le souvenir « des jeux et des fêtes de [l]a jeunesse » du Citoyen de Genève peut venir expliciter. Si le theatron grec, qui nomme originellement les gradins où le peuple vient s’asseoir, ne peut pas être rappelé ici, c’est que pour se donner à lui-même le spectacle de son assemblement, le peuple doit rester debout ; l’acte par lequel un peuple est un peuple tient tout simplement dans le fait de se tenir debout tous ensemble, de se dresser solidairement — de se lever comme un seul homme — pour que chacun puisse faire face à chacun et à tous, dans la lumière et à visage découvert. En d’autres termes, un peuple n’est un peuple qu’en tant qu’il se montre capable d’un soulèvement, lequel n’est rien d’autre que le moment politique de son institution, soit : le spectacle même de la constitution du public en un peuple.
Est-ce forcer le sens du texte que d’énoncer cette seconde condition de l’instauration du peuple comme corps politique ? « Il faut des yeux pour le voir et un cœur fait pour le sentir ». Il n’est en tous cas pas indifférent que la scène de Saint-Gervais ait besoin de montrer un peuple en armes, ayant aboli toute hiérarchie militaire : difficile de nommer autrement que « fraternisation » cette scène où le peuple désarmé et la troupe sous les armes vont à la rencontre l’un de l’autre pour s’unir spontanément.
Et Diderot ? Il faudrait là encore plus de temps pour montrer que dans le Second Entretien, la référence au théâtre antique s’interrompt au même point de la démonstration que dans le cheminement de Rousseau : se substitue alors à la réflexion archéologique une courte échappée utopique, qui essaime là encore dans une note de bas de page. Pour Diderot comme pour bien d’autres philosophes des Lumières (dont Jean-Jacques), l’utopie a un nom : Lampédouse – qui aura donc nommé longtemps un élan utopique avant de signifier, depuis le 3 octobre 2013 et pour tous les Européens que nous sommes, le naufrage d’une illusion :
J’étais chagrin quand j’allais au spectacle et que je comparais l’utilité des théâtres avec le peu de soin qu’on prend à former les troupes. Alors je m’écriais : « Ah ! mes amis, si nous allons jamais à la Lampédouse* fonder, loin de la terre, au milieu des flots de la mer, un petit peuple d’heureux ! ce seront là nos prédicateurs ; et nous les choisirons, sans doute, selon l’importance de leur ministère. Tous les peuples ont leurs sabbats, et nous aurons aussi les nôtres. Dans ces jours solennels, on représentera une belle tragédie, qui apprenne aux hommes à redouter les passions, une bonne comédie, qui les instruise de leurs devoirs, et qui leur en inspire le goût ».
L’évocation est suivie d’une courte note de Diderot, très hétérogène au propos et dans laquelle on a voulu lire une nouvelle allusion polémique à la vie de Rousseau : l’île de Lampédouse, rappelle l’auteur des Entretiens, est surtout connue pour avoir hébergé « frère Clément », qui avait divisé la « petite église » en deux chapelles pour les consacrer « l’une à Mahomet et l’autre à la Sainte-Vierge » : « Voyait-il arriver un vaisseau chrétien, il allumait la lampe de la Vierge. Si le vaisseau était mahométan, vite il soufflait la lampe de la Vierge, et il allumait pour Mahomet. »
Que dit ici l’utopie sinon le désir d’un spectacle pleinement civique où chaque citoyen est susceptible d’être élu au sein du peuple des spectateurs pour se prêter à son tour au regard des autres, sinon le rêve d’un espace scénique circulaire élargi aux dimensions de l’île, sans plus de distinction entre regardants et regardés ? Mais dans le texte du Second Entretien, il faut regarder encore ailleurs : comme chez Rousseau, ce qui vient interrompre la remontée vers un théâtre originaire, c’est encore l’irruption du temps personnel — le simple souvenir d’un passé qui n’est historique qu’à l’échelle de l’individu.
Il est temps de lever le rideau, en revenant pour la troisième fois sur notre citation initiale (la treizième revient — c’est encore la première) :
Il n’y a plus, à proprement parler, de spectacles publics. Quel rapport entre nos assemblées au théâtre dans les jours les plus nombreux, et celles du peuple d’Athènes ou de Rome ? Les théâtres anciens recevaient jusqu’à
quatre-vingt mille citoyens. […]
Jugez de la force d’un grand concours de spectateurs, par ce que vous savez vous-même de l’action des hommes les uns sur les autres, et de la communication des passions dans les émeutes populaires. Quarante à cinquante mille hommes ne se contiennent pas par décence. […]
Pour comprendre ce que peut être un public de théâtre, il faut savoir ce dont un peuple est capable : il faut avoir au moins une idée de ce que peut être une « émeute » ou un soulèvement populaire — au lendemain de la Révolution, l’essentiel des débats sur l’institution de fêtes républicaines consistera à se demander si la réciproque est également vraie : si d’avoir vu le peuple soulevé autorise à imaginer un théâtre authentiquement populaire[7].
Si les « spectacles publics » doivent montrer « l’acte par lequel un peuple est un peuple », le théâtre antique ne peut servir de modèle : le peuple y est certes en pleine lumière, mais il est assis – et pour tout dire d’une formule, ou plutôt d’une question elle-même abyssale lancée naguère par D. Guénoun : « A-t-on jamais vu un peuple dans des fauteuils[8] ? » ; j’ajouterai : pas même sur les gradins d’un stade, lorsque le public fait la ola, version dégradée, ou spectaculaire au sens de
G. Debord cette fois, du soulèvement populaire.
Redescendons du ciel grec aux salles parisiennes : retombons au parterre (c’est la faute à Rousseau). Faudra-t-il donner des sièges au peuple français ? Telle est la question qui agite les théoriciens à compter de ces mêmes années 1757-1758, où l’on débat de la possibilité d’installer des sièges au parterre – décision finalement prise en 1782, lors de l’installation de la Comédie française dans l’actuel Odéon. Le copieux article signé par Marmontel à l’entrée « Parterre » de l’Encyclopédie (t. XI : 1765) et repris dans ses Éléments de littérature (1787) porte témoignage de la vigueur comme de la profondeur de la dispute. En faisant l’éloge de la station debout, le théoricien s’attache d’abord aux effets quasi physiologiques de la position du public, pour en révéler les enjeux finalement politiques.
On croit avoir remarqué qu’au parterre où l’on est debout, tout est saisi avec plus de chaleur ; que l’inquiétude, la surprise, l’émotion du ridicule et du pathétique, tout est plus vif et plus rapidement senti. […] Ce que l’émotion d’une multitude assemblée et pressée ajoute à l’émotion particulière ne peut se calculer : qu’on se figure cinq ou six cent miroirs se renvoyant l’un à l’autre la lumière qu’ils réfléchissent, ou cinq cents échos le même son ; c’est l’image d’un public ému par le ridicule ou le pathétique. C’est là surtout que l’exemple est contagieux et puissant. On rit d’abord de l’impression que fait l’objet risible, on reçoit de même l’impression que fait l’objet attendrissant ; mais, de plus, on rit de voir rire, on pleure aussi de voir pleurer ; et l’effet de ces émotions répétées va bien souvent jusqu’à la convulsion du rire, jusqu’à l’étouffement de la douleur. Or c’est surtout dans le parterre, et dans le parterre debout, que cette espèce d’électricité est soudaine, forte, et rapide[9].
Cette contagion des affects ne peut pas être sans conséquences sur le jugement ; elle constitue pour Marmontel bien avant Habermas la condition d’apparition de « l’opinion publique » :
Si le parterre ne réduisait pas l’opinion publique à l’unité en la ramenant à la sienne, il y aurait le plus souvent autant de jugement divers qu’il y a de loges au spectacle, et de longtemps le succès d’une pièce ne serait unanimement ni absolument décidé.
Il ne faut pas, ajoute le théoricien, que « la démocratie du parterre dégénère en aristocratie » : laisser le peuple debout au parterre, c’est éviter que le public se morcelle en coteries et que l’opinion se divise[10] ; c’est au fond la meilleure garantie que le public et le peuple ne se trouveront pas opposés l’un à l’autre, et que l’on peut toujours s’en remettre, au sein de « cette espèce de république qui compose nos spectacles », au libre « applaudissement » – le terme se dit ici au singulier.
C’est du parterre, et d’un parterre libre, que part l’applaudissement ; et l’applaudissement est l’âme de l’émulation, l’explosion du sentiment, la sanction publique des jugements intimes et comme le signal que se donnent toutes les âmes pour jouir à la fois, et pour redoubler l’intérêt de leurs jouissances par cette communication mutuelle et rapide de leur commune émotion. Dans un spectacle où l’on n’applaudit pas, les âmes seront isolées et le goût toujours indécis.
S’il s’agit de renouer le lien sans cesse défait entre l’art dramatique et l’assemblée des citoyens, on ne se contentera donc pas d’en appeler aux fêtes civiques des Grecs ; il ne suffira pas non plus d’ouvrir les portes des théâtres pour sortir en plein air : on n’oubliera pas de démonter les fauteuils.
| Marc Escola
Notes
[1] Toutes nos citations des Entretiens et De la Poésie dramatique ainsi que la lettre à Mme Riccoboni de novembre 1758 renvoient à l’édition procurée par J. Goldzink, Paris, GF-Flammarion, 2005, p. 106 (p. 91-109 pour l’ensemble de nos citations du Second Entretien, dans une orthographe modernisée) ; les caractères gras sont partout de notre fait.
[2] Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. V, p. 114-125 pour toutes nos citations (orth. originale).
[3] Voir notamment Raymond Trousson, « Diderot et le théâtre antique », dans Anne-Marie Chouillet (dir.), Denis Diderot 1713-1784. Colloque international (juillet 1984), Aux amateurs de livres, 1985 ; et l’article récent de Sophie Marchand, qui met à profit une abondante bibliographie : « Diderot et l’histoire du théâtre : passé, présent(s) et avenir dans la théorie diderotienne », Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, n° 47, 2012 : « Diderot et les spectacles », En ligne : [http://rde.revues.org/4917], 2012.
[4] Cf. Denis Guénoun : l’analyse qu’il donne de ces pages de Rousseau dans Le Théâtre est-il nécessaire ? (Belval, Circé, 1998) et dans Livraison et délivrance (Paris, Belin, 2009), ainsi que dans L’Enlèvement de la politique (Belval, Circé, 2002), a nourri sinon inspiré les présentes réflexions.
[5] Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau : La Transparence et l’Obstacle, éd. revue et augmentée, Paris, Gallimard, 1971 ; rééd. coll. « Tel », 1976, p. 120.
[6] L’Encyclopédie donne les mots de troupe, bande et compagnie comme synonymes, en introduisant les distinctions suivantes que la note de Rousseau illustre diversement : « Plusieurs personnes jointes pour aller ensemble font la troupe. Plusieurs personnes séparées des autres pour se suivre et ne se point quitter, font la bande. Plusieurs personnes réunies par l’occupation, l’emploi ou l’intérêt, font la compagnie. »
[7] Voir Mona Ozouf, La Fête révolutionnaire : 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976, notamment au chapitre « La fête et l’espace », la section intitulée « L’espace sans qualités » ; il vaudrait la peine de suivre les développements du rêve d’un théâtre populaire de plein air depuis les textes de Mirabeau, Robespierre ou Chénier jusqu’au célèbre article de Roland Barthes sur les nuits d’Avignon (« Avignon,
l’hiver », 1954, Ecrits sur le Théâtre, Paris, Seuil, 2002), en passant par Michelet, Romain Rolland (Le Théâtre du peuple, « Le Théâtre nouveau I : les précurseurs, Rousseau, Diderot… », Cahiers de la Quinzaine, 1903) et, bien sûr, Jean Vilar.
[8] Denis Guénoun, Livraison et délivrance, éd. cit., p. 101.
[9] Jean-François Marmontel, Eléments de littérature, Éd. S. Le Ménahèze, Paris, Desjonquères, 2005, p. 246 sq.
[10] Signalons que l’essentiel de l’article, de bout en bout passionnant, porte sur la composition sociologique respective du « parterre » et des « loges », plus complexe qu’une simple opposition de classes sociales ; mais aussi que dans les Éléments de littérature l’article offre un alinéa supplémentaire, postérieur à 1782 et à l’installation de sièges au parterre de l’Odéon, où Marmontel revient en partie sur son évaluation des bienfaits de la station debout.
Pour citer cet article
Marc Escola, « « Ce théâtre n’est pas le nôtre. » Rousseau et Diderot spectateurs de plein air », Revue d’Historiographie du Théâtre numéro 3 [en ligne], mis à jour le 01/01/2017, URL : https://sht.asso.fr/8294-2/