Revue d’Histoire du Théâtre • N°274 T2 2017
Recensions
Par Michèle Sajous D’Oria, Agnès Curel
Résumé
Philippe Bourdin, Aux origines du théâtre patriotique, Paris, CNRS Éditions, 2017.
Marco Consolini, Raphaëlle Doyon (dir), Jacques Copeau, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, n°12, Paris, La Comédie-Française – L’avant-scène théâtre, octobre 2014.
Texte
Recensions
Philippe Bourdin, Aux origines du théâtre patriotique, Paris, CNRS Éditions, 2017.
Pour ceux qui s’intéressent au théâtre pendant la Révolution, le nom de Philippe Bourdin est bien plus qu’une référence. Avec son enthousiasme et sa compétence, il a contribué depuis des années à faire connaître le répertoire de l’époque révolutionnaire, entendu au sens large, puisque ses recherches s’étendent au Consulat et à l’Empire. Recherches personnelles, bien sûr, mais aussi collective par sa volonté de réunir d’autres chercheurs, en organisant régulièrement des rencontres et des colloques, dont les résultats ont soigneusement été publiés sous sa direction.
C’est le fruit de ces années de travail que Philippe Bourdin recueille dans ce gros volume. Il reprend nombre de ses articles parus dans des revues ou dans des actes de colloques, qu’il a mis à jour pour assurer la cohérence de l’ouvrage. Les notes qui accompagnent les différents chapitres montrent son attention aux recherches en cours qui apportent constamment de nouvelles connaissances sur un théâtre resté longtemps ignoré ou pis vilipendé par une critique qui le réduisait, et parfois le réduit encore, à sa vocation militante ou de propagande. Les nombreuses pièces et auteurs présentés dans l’ouvrage dépassent le cadre parisien et s’étendent à la province (l’index des pièces de théâtre citées compte environ 400 titres, p. 491-498). D’autre part, l’importance de la dimension provinciale du répertoire, souvent la plus méconnue, ne pouvait échapper à Philippe Bourdin qui anime, avec Cyril Triolaire, le projet Therepsicore : « Le théâtre sous la Révolution et l’Empire en province : salles et itinérance, construction des carrières, réception des répertoires ».
Pour définir ce qu’il entend par « théâtre patriotique », Philippe Bourdin propose cinq pistes (la pédagogie, la propagande, l’engagement des auteurs, les manières de servir l’art scénique et les formes de critiques) et, pour chacune, trois interrogations.
La première piste aborde l’aspect pédagogique : pour comprendre comment passer de la réflexion sur le théâtre historique au théâtre politique, pour envisager la place du comique alors que les théoriciens privilégient la tragédie et le drame et pour évaluer comment se combinent prosélytisme et soucis de rentabilité au plus fort de l’An II. Cette première partie permet de cerner le titre, « Aux origines du théâtre patriotique », autour du rapport complexe des révolutionnaires à l’histoire. L’utilité morale et civique du répertoire, prônée par les hommes des Lumières sous l’Ancien Régime, devient une question politique.
La seconde piste s’interroge sur des thèmes de propagande : les apothéoses théâtrales des héros que se choisit la Révolution (1791-1794), la famille, observée à travers le prisme de l’adoption des orphelins et des enfants adultérins et les « brigands », de Schiller à Hoffman. Ce dernier thème s’enrichit de connotations politiques : Les Brigands de Schiller, connus en France dès 1782, sont revisités sur la scène révolutionnaire avec Robert, chef de brigands (Théâtre du Marais, 10 mars 1792), grand succès qui suscite des émules. Le mot « brigand » tend à désigner les ennemis de la Révolution, tantôt royalistes (Vendéens, Les Brigands de la Vendée), tantôt jacobins (Les Jacobins du 9 Thermidor et les brigands, ou les Synonymes, qui n’eut guère d’écho mais installa les poncifs sur lesquels va jouer la fameuse pièce L’Intérieur des comités révolutionnaires, ou les Aristides modernes).
La troisième parcours suit l’engagement de trois auteurs « patriotes » : Louis-Benoît Picard, Philippe-Antoine Dorfeuille et Briois. Le premier, auteur d’au moins vingt-six pièces entre 1789 et 1799 (liste établie d’après les données de la base César), dont certains titres, particulièrement incisifs, comme Médiocre et rampant (1798), lui ont assuré une relative postérité, traverse la Révolution et couronne sa carrière à la tête de l’Académie impériale (puis royale) de musique, avant de diriger l’Odéon jusqu’en 1821. Son théâtre a prétendu dénoncer les comportements politiquement et moralement indignes en République. Le destin de Dorfeuille est plus tragique. Il finit massacré le 4 mai 1795, durant la Terreur blanche. À la fois acteur et auteur, « archétype du missionnaire patriote », il avait parcouru la France en récitant des saynètes patriotiques où il exprimait son anticléricalisme et sa haine de l’aristocratie, mettant l’arme du rire au service de la cause révolutionnaire, avec le Miracle de la Sainte Omelette, la Lettre d’un chien aristocrate à son maître, aristocrate aussi, et fugitif de Toulouse, La lanterne magique patriotique ou le coup de grâce de l’aristocratie (ces textes inédits sont présentés en Annexes, p. 247-277). Le sous-titre du paragraphe qui est consacré à Briois, « ou les infortunes de la vertu politique », donne la mesure de l’oubli dans lequel est immédiatement tombé cet auteur et entrepreneur de spectacles, fidèle aux idéaux des Sans-culottes. Après avoir connu la gloire le 4 mai 1794 en présentant au Théâtre de la République La Mort du jeune Barra ou une journée de la Vendée, « drame historique en un acte », il tenta de se maintenir après Thermidor en faisant jouer le 6 juillet 1795, dans une salle moins prestigieuse, mais haut lieu de la résistance jacobine, l’Ambigu-Comique, Le Fermier d’Issoire ou le Bon laboureur. Le « vertueux » auteur, à travers le personnage d’un laboureur lui aussi vertueux, soutenait dans de longues et ennuyeuses répliques le « libéralisme social ». Sa carrière théâtrale en pâtit.
La quatrième piste est consacrée à trois manières de servir l’art scénique. C’est d’abord la part des amateurs, ces « scénophiles » qui suivent attentivement la vie théâtrale à travers les critiques des journaux et qui forment en province des « sociétés dramatiques » pour assurer un répertoire « patriotique ». Les sociétés contribuent sans doute à substituer à une morale religieuse une éthique laïque, mais par leur composition sociale elles installent une domination culturelle sur le peuple. Philippe Bourdin prend l’exemple de Riom et produit en annexe le Règlement de la Société des amateurs du théâtre de Riom (p. 325-328). C’est ensuite le monde des directeurs de troupes qui est analysé en reconnaissant d’emblée la difficulté à le cerner. Philippe Bourdin utilise des sources d’archives pour tenter de suivre le parcours de ceux qui entreprennent cette profession qui, malgré les difficultés de tous ordres, apparaît attractive. C’est enfin la gestion de l’Opéra sous le Directoire qui est mise en question. Malgré la pauvreté des moyens, le gouvernement tente de maintenir « une institution dont il espère utiliser le renom au profit d’une mobilisation républicaine ». Le rôle de la politique de réformes, entreprise par François de Neufchâteau, est bien mis en évidence.
La dernière piste touche aux formes de « violences intellectuelles » dans le domaine du théâtre, que ce soit celles des journalistes ou bien des pouvoirs. La critique théâtrale de la période révolutionnaire est particulièrement sujette à ces excès. L’exemple choisi est celui de Fabien Pillet qui s’acharne contre la création révolutionnaire (en particulier contre Pigault-Lebrun et Legouvé) et le « manichéisme » du théâtre patriotique. Instrument de propagande, le théâtre français envahit l’Europe napoléonienne, mais montre les limites de l’impérialisme culturel. Les formes théâtrales nationales, en particulier en Italie, freinent les ambitions françaises, même si Naples peut constituer une exception. Le « théâtre patriotique » est désormais mis au pas avec la réorganisation officielle des théâtres, envisagée dès le Directoire et mise en œuvre sous l’Empire.
On aura compris qu’il s’agit d’une véritable somme sur le théâtre entre 1789 et 1815. Mais le « foisonnement » (le mot est en quatrième de couverture ) des pistes et des interrogations, des auteurs et des pièces citées, laisse imaginer que l’enquête, ou mieux la quête, de Philippe Bourdin ne s’achève pas avec cet important ouvrage. On le sait désormais, le théâtre de la Révolution est autant à lire du côté des textes que du côté des conditions historiques de production et de réception, sans pour autant le réduire à ce second aspect. Philippe Bourdin, qui a une formation d’historien, n’a pas fini de s’interroger sur la façon dont l’Histoire imprègne le théâtre.
| par Michèle Sajous d’Oria
Marco Consolini, Raphaëlle Doyon (dir), Jacques Copeau, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, n°12, Paris, La Comédie-Française – L’avant-scène théâtre, octobre 2014.
Créée en 2007, la collection « Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française » propose des numéros thématiques, le plus souvent autour d’un auteur, réunissant des chercheurs, des artistes et des témoins. Loin d’affaiblir le propos, ou de le cantonner à la superficialité, cet entrelacement des discours offre au contraire un heureux dialogue entre les différentes contributions et permet de sortir des sentiers battus pour développer des pistes de recherche et des croisements inédits et fertiles. De nombreux chercheurs appellent et commencent eux-mêmes à réévaluer le « monument » Copeau. C’est dans cette lignée que se situe ce numéro consacré au Patron, et que coordonnent Marco Consolini et Raphaëlle Doyon.
À l’instar des autres Cahiers, celui consacré à Copeau se divise en cinq parties. La première et la deuxième réunissent des études de chercheurs autour de deux grands axes : « Copeau au cœur du théâtre du xxe siècle » et « Compagnonnages et filiations ». Ces textes sont, pour la plupart, issus de journées organisées à l’occasion du centenaire de l’ouverture du Vieux-Colombier, qui s’est tenu en octobre 2013 à la Maison Jacques Copeau à Pernand-Vergelesses. Il s’agissait alors, comme l’indiquait le titre de ces rencontres, d’explorer les « contradictions fertiles » de l’homme de théâtre. Jacques Copeau peut s’apparenter à un chercheur, comme le font remarquer Marco Consolini et Raphaëlle Doyon en ouverture de l’ouvrage. « Amoureux du verbe », il est également un inlassable expérimentateur, notamment en ce qui concerne « l’éducation du mouvement ». Mais comme on le sait, c’est un artiste également pétri de contradictions, entre expérimentation et traditionalisme, pensées tour à tour révolutionnaires ou réactionnaires. Le propos de l’ouvrage consiste précisément à interroger ces lignes de tension, fécondes, et à montrer « l’influence souterraine » de Jacques Copeau dans la production théâtrale du xxe siècle. Car son héritage semble reposer sur un paradoxe : étudié par de nombreux chercheurs étrangers, le Patron souffre encore d’un manque d’intérêt dans le monde scientifique français. Comme l’explique Marco Consolini, le « monument Copeau » a jusqu’alors pâti de deux tendances majeures, qui expliqueraient cet oubli par les études théâtrales : la tentation « hagiographique », qui l’a hissé sur un piédestal dès les années vingt et la vague brechtienne des années 1960 qui a exprimé, au contraire, une grande hostilité à l’égard de cette légende écrasante. Nombre de ses pensées et expérimentations restent pourtant à explorer. La place prépondérante de Copeau dans la genèse et le développement de la mise en scène moderne en France – notamment quand on considère la question de l’espace scénique – serait un premier point. D’autre part, l’apparition d’une politique théâtrale opposée au système commercial encore dominant au début du xxe siècle constitue un sujet majeur pour comprendre l’influence de Copeau. Enfin, l’évolution de la formation de l’acteur doit là aussi beaucoup au metteur en scène-pédagogue.
Les articles suivants se saisissent de ces trois pistes liminaires. Dans une version abrégée et traduite de l’italien pour l’occasion, on découvre un article de Fabrizio Cruciani initialement publié en 1989, et qui rappelle à lui seul combien le projet de Copeau a pu à son époque apparaître à contre-courant. Le Patron pointait déjà les risques de remplacer l’acteur-vedette par la figure tout aussi boursouflée et futile du metteur en scène-star, il s’opposait à la vitesse et à l’impératif tyrannique de « faire moderne », mais également à la dictature des résultats jugés sur le succès immédiat, des slogans clinquants et creux et de la logique publicitaire… Autant de maux que de nombreux artistes, à l’heure actuelle, combattent tout aussi férocement, comme en témoignent les entretiens à la fin de l’ouvrage. Or, en s’opposant à cette tendance qu’il estimait alors croissante dans la société, Copeau espérait engager une rénovation théâtrale qui retrouverait la « tradition de la naissance », c’est-à-dire le « mouvement qui a présidé à la création d’une comédie ». Loin du parcours erratique qu’on lui prête parfois, Copeau apparaît donc comme un artiste-chercheur dont la pensée n’a pas dévié au fil des ans – comme le montre également Marion Denizot à propos des réflexions de Copeau autour du « Théâtre populaire » et du « Théâtre de la Nation ».
Les autres études de cette première partie apportent des éclairages originaux sur des grands moments de la carrière artistique de Copeau. C’est ainsi que l’historien Vincent Chambarlhac propose une analyse de l’expérience sociale des Copiaus en Bourgogne. Peu documentée, cette période s’avère riche pour comprendre l’impact qu’ont pu avoir les Copiaus en créant une « communauté théâtrale dans la communauté » plus large du village. La réciprocité des services rendus, le dialogue social et culturel qui se développe peu à peu sont évoqués, illustrant le « vif social d’un parti pris théâtral ». Le Miracle du pain doré, dernier spectacle de Copeau, donné aux hospices de Beaune en 1943 pour le cinquième centenaire de l’institution bourguignonne, est le sujet de l’étude à quatre mains proposée par Robert L.A. Clark et Isabelle Ragnard. Là encore, on est frappé par l’extrême cohérence du travail de metteur en scène, qui peut donner libre cours à sa vision d’un théâtre populaire et catholique tout en se plongeant dans le théâtre médiéval, qui l’a intéressé tout au long de son parcours artistique. Dans le spectacle, Copeau incarne le Meneur de jeu qui introduit la pièce, et engage côte à côte des comédiens professionnels venus de Paris et des amateurs des environs. Si la limite demeure floue entre théâtre populaire et propagande, le spectacle, dont André Barsacq signe la monumentale scénographie, rencontre un succès médiatique et public important.
La deuxième partie de l’ouvrage se concentre, quant à elle, sur les liens intellectuels, artistiques et amicaux qui se sont noués entre le Patron et différentes personnalités de son temps. Louis Jouvet, bien entendu, a entretenu avec Copeau une correspondance fournie (quelques 391 lettres), où s’esquisse, au fil des échanges, le théâtre nouveau qu’ils appelaient de leurs vœux. Le volume qui réunit cette correspondance, édité par Olivier Rony en 2013, permet ainsi selon Ève Mascarau – qui en livre le compte rendu – de saisir le « laboratoire d’expérimentations et d’interrogations » que ces écrits intimes ont pu constituer. S’ils ne se rencontrèrent que trois fois, Constantin Stanislavski est une autre figure importante pour Jacques Copeau, qui rédigea même l’avertissement à la traduction française de Ma vie dans l’art. Marie-Christine Autant-Mathieu montre en ce sens que le metteur en scène russe, que Copeau avait connu par l’intermédiaire de Craig, a fasciné le Patron. Cependant, l’avertissement que Copeau écrit en dit peut-être plus sur lui-même que sur Stanislavski. Sentant une forte proximité artistique et esthétique avec le directeur du Théâtre d’Art, Copeau rapproche le parcours de celui-ci de ses propres tentatives, réflexions et échecs, au point d’ailleurs de passer sous silence les oppositions pourtant importantes qui existent entre leurs deux conceptions du jeu de l’acteur. Enfin, Raphaëlle Doyon éclaire le rôle crucial de Suzanne Bing dans l’aventure pédagogique et esthétique du Vieux-Colombier. Celle qui resta plus de trente ans aux côtés de Jacques Copeau souffre encore d’un large oubli, qui s’explique d’une part par sa propre volonté de rester dans l’ombre du Patron et ainsi « d’effacer son nom de l’histoire », et sans doute également par une tendance à minimiser la place des femmes dans l’histoire de la mise en scène au xxe siècle (on pourra se référer à ce sujet à un article de Raphaëlle Doyon paru dans Les oublis de l’histoire du théâtre, Revue d’Histoire du Théâtre, avril-juin 2016, n°270). Pourtant, le rôle de Suzanne Bing apparaît déterminant dans la création et le développement de l’École du Vieux-Colombier : c’est elle qui en a l’idée, qu’elle concrétise peu à peu à l’aide des méthodes de la pédagogie active de Maria Montessori et de ses propres expériences pratiques avec des enfants à Paris et à New-York. Son travail acharné a contribué sans nul doute au caractère prolifique de l’École-Théâtre.
La question de la filiation entre Copeau et des metteurs en scène ultérieurs est abondamment traitée dans l’ouvrage. Guy Freixe explore par exemple, à partir de la question de la « pédagogie du jeu en mouvement », les liens entre Copeau et Jacques Lecoq. Ce dernier, en faisant partie de la troupe de Jean Dasté, a pu profiter indirectement des enseignements du Patron. Nul étonnement alors à retrouver dans la formation imaginée par Lecoq les modèles de l’enfant et du clown, tous deux également cités par Copeau. La rencontre avec le metteur en scène se fait également de manière indirecte dans le cas d’Ariane Mnouchkine. Béatrice Picon-Vallin explique ainsi que, à l’instar de Monsieur Jourdain, la troupe du Théâtre du Soleil a longtemps fait du Copeau sans le savoir. C’est lors des répétitions de l’Âge d’Or, en juin 1973, que les comédiens lisent pour la première fois le premier volume des Registres. En 2010, au cours de la création des Naufragés du Fol Espoir, la troupe se nourrit une nouvelle fois de ses écrits. De nombreuses propositions défendues par Copeau ont ainsi été explorées par le Théâtre du Soleil.
Dans la quatrième partie de l’ouvrage, plusieurs entretiens permettent de saisir à quel point Jacques Copeau a pu hanter, par ses écrits et sa légende, les créateurs contemporains. Il y a bien sûr ceux qui l’ont connu, qui ont suivi ses enseignements et participé à ses spectacles. Dans un témoignage tiré de textes conservés dans le fonds Copeau de la BnF, Jean Dasté revient sur sa rencontre décisive avec le Patron et ses premiers pas sur scène. Jean Pommier, acteur du Miracle du pain doré, raconte son expérience dans la troupe de Jean Dasté, son rôle dans le spectacle et les souvenirs qui y sont liés. Mais il y a également les héritiers indirects, qui sans avoir connu le metteur en scène se réclament de son héritage et le font perdurer. Christian Schiaretti explique par exemple se sentir parfois comme un Copiau et retient notamment l’intérêt de Jacques Copeau pour « l’énergie de la jeunesse ». Robin Renucci, formé par d’anciens Copiaus, fait sien le pari de Copeau de miser sur l’intelligence du public, notamment en tant que directeur des Tréteaux de France. Jean-Claude Penchenat, Jean-Louis Hourdin et Jean Bellorini retracent eux aussi leurs parcours, leur découverte de Copeau, par l’intermédiaire de ses écrits ou de ses disciples. C’est encore un autre portrait de Copeau qui apparaît alors, inspiré et inspirant, « grand animateur » (Jean-Louis Hourdin) d’un souffle théâtral puissant.
Deux textes inédits de Jacques Copeau, qu’on trouvera dans la troisième partie, viennent compléter l’ouvrage. « Le Théâtre moderne et l’interprétation des chefs-d’œuvre », article écrit en 1929 et publié à l’origine dans le journal de Buenos Aires, affirme le primat du texte sur l’activité de mise en scène. Copeau juge d’ailleurs sévèrement certains de ses contemporains et rappelle que « le vrai metteur en scène n’est […] qu’un substitut du poète ». Il propose en outre une intéressante analogie entre les textes dramatiques et les œuvres musicales. Le deuxième inédit, « La mélodie de Solesme », écrit en 1931 et consacré aux chants grégoriens, met d’ailleurs en lumière la sensibilité musicale de Copeau. C’est ce que montre également Isabelle Ragnard dans son étude musicologique du Miracle du pain doré.
La relation entretenue par Copeau avec la Comédie-Française est beaucoup plus longue que son passage à la direction, comme le montre Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste du théâtre. Il est tour à tour spectateur exigeant, conseiller technique sous l’administration Bourdet puis metteur en scène marquant avant d’en être le directeur. À l’image du Vieux-Colombier, qui a rejoint le giron de la Comédie-Française en 1993, il apparaît donc heureux que les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française aient ouvert leurs pages à ce metteur en scène majeur. Richement illustré, comme les autres exemplaires de la collection, Jacques Copeau permet au lecteur de découvrir de nombreux clichés, le plus souvent inédits et conservés dans le fonds Copeau de la BnF. La présentation de ce fonds par Mileva Stupar rend compte de l’ampleur de la documentation – bien souvent encore inexploitée – à la disposition des chercheurs. De la même manière, la Maison Jacques Copeau en Bourgogne accueille artistes et chercheurs dans un lieu qui favorise la lente maturation des idées et du théâtre, tel que Jacques Copeau le souhaitait.
La structure éditoriale des Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française constitue une introduction passionnante et pratique pour qui veut se plonger dans l’œuvre foisonnante de Jacques Copeau : la chronologie liminaire pourra aider ceux qui ne sont pas encore familiers de toutes les étapes du travail de Copeau, tandis que la bibliographie sélective en fin d’ouvrage permet de prendre connaissance des écrits et des études les plus significatifs. On ne peut d’ailleurs que regretter la suspension de cette collection, qui n’a depuis cet ouvrage plus édité de numéro. Du côté de Copeau, en revanche, on attend la publication des deux derniers volumes des Registres VII et VIII, dirigés par Maria Ines Aliverti et Marco Consolini, preuve s’il en est que de nombreuses pistes restent à explorer autour du travail littéraire, scénique et pédagogique de Jacques Copeau.
| par Agnès Curel
Pour citer cet article
Michèle Sajous D’Oria, Agnès Curel, « Recensions », Revue d’Histoire du Théâtre numéro 274 [en ligne], mis à jour le 01/02/2017, URL : https://sht.asso.fr/comptes-rendus-rht274/