De la métacanonicité. Enquêtes performatives sur l’histoire du canon, ou comment politiser Bérénice

Résumé

Nous proposons ici de forger la notion de métacanonicité pour rendre compte des mises en scène qui s’attachent à éclairer les conditions sociopolitiques ayant historiquement présidé à la canonisation d’un texte ou d’un spectacle. Dans les deux productions qu’il a présentées autour de la Bérénice de Racine – sa mise en scène « formelle » en 2009 à la Comédie-Française et son adaptation « congolaise » en 2010 au Festival d’Avignon –, le chorégraphe congolais Faustin Linyekula met en lumière l’histoire des usages politiques du canon de langue française, mis au service de la construction de l’identité nationale et de l’imposition du pouvoir colonial, ainsi que les traces que ces usages ont déposées dans les corps individuels et les mémoires collectives ; à la faveur d’une dramaturgie polyphonique, interculturelle et pluri-temporelle, le canon théâtral se trouve interrogé en tant que répertoire (joué et rejoué sur la scène), en tant que classique (enseigné et appris à l’école), en tant que patrimoine (érigé en référence nationale), en tant que tradition (participant d’un ordre mémoriel), en tant qu’autorité (servant une domination culturelle). De cette mise en perspective historique naît chez Linyekula la possibilité d’une réappropriation du canon comme objet transitionnel, qui devient dans le présent postcolonial un lieu politique de renégociation des valeurs culturelles et des manières d’écrire l’histoire. Que cette interrogation patrimoniale et historiographique se retrouve en 2019 dans la métacanonicité d’Histoire(s) du théâtre II, spectacle centré sur le Ballet national du Zaïre, signale les mécanismes de formation et les possibilités de ressaisissement que, dans une perspective globale, les canons des continents européens et africains ont en partage.