Société d'Histoire du Théâtre

Exposition virtuelle

Archives du théâtre jeunesse dans le monde : objets ludiques

L’exposition « Archives du théâtre jeunesse dans le monde » propose une réflexion visuelle à partir du fonds « Théâtre Jeunesse monde » de la SHT, traité comme un objet politique, esthétique et archivistique.

Le parcours de l’exposition s’organise autour de trois salles virtuelles thématiques. Le fonds d’archives est d’abord envisagé comme un « objet politique », une chambre d’écho des conflits idéologiques de la deuxième moitié du XXe siècle. Cette salle permet de réfléchir à la manière dont les acteurs du théâtre jeunesse ont étendu la dimension ludique du jeu théâtral à la production graphique d’ephemera (programmes de spectacle, brochures, bulletins mensuels). La dernière salle aborde le fonds d’archives comme un « objet sensible », pour montrer les traces laissées par les collecteur·ices.

Conception de l’exposition : Gaïa Richard

L’analyse des programmes de spectacles jeunesse du « Fonds jeunesse monde » de la Société d’Histoire du Théâtre révèle qu’ils recouvrent des enjeux politiques aigus, distillés par les adultes impliqués dans le champ (artistes, institutions culturelles, agents économiques).
Ce fonds d’archives témoigne également des représentations culturelles que les adultes se font des enfants et à partir desquelles ils et elles inventent leurs pratiques artistiques. À cet égard, l’association du domaine de l’enfance et de l’activité ludique semble particulièrement courante. Tous les aspects de l’activité para-théâtrale pour la jeunesse semblent s’être réinventés à l’aune du jeu enfantin. Le programme de théâtre devient un élément ludique miniature, les institutions inventent des périodiques théâtraux plaisants, et la photographie du public enfantin hilare ou happé devient un motif des ephemera du théâtre jeunesse.

Ludification du programme de spectacle

L’analyse diachronique des programmes de spectacle du « Fonds jeunesse monde » de la SHT donne le sentiment que ce type de document a donné lieu à des recherches graphiques d’ampleur partout dans le monde. Bien plus largement que dans le théâtre pour les adultes, les concepteur·ices de programmes de spectacle jeunesse ont modifié la fonction et l’usage traditionnels de ces documents éphémères pour les transformer en projets ludiques, qui puissent survivre au moment de la représentation.
À l’échelle mondiale, on décèle des codes visuels uniformes. Il s’agit d’une adresse graphique singulière, qui semble aussi dériver d’une certaine pensée de la réception enfantine.

Découper, coller, colorier et écrire : tout un programme

Le design des programmes de théâtre jeunesse invite les jeunes spectateur·ices à interagir avec le programme papier : des consignes invitent les enfants à plier, coller, découper, colorier ou écrire sur le document. En lien avec les principes d’auto-activité du courant pédagogique de l’Éducation Nouvelle et dans le sillage de la promotion conceptuelle de l’homo ludens (Johan Huizinga, 1938) un grand nombre de programmes de spectacle de la fin du XXe siècle propose au jeune public une nouvelle forme de participation, dans l’attente ou au sortir de la représentation de théâtre. Le programme de s’invente à mi-chemin entre le livre d’activités et le théâtre de papier : l’expérience du spectacle se trouve anticipée, prolongée ou réactivée par des activités graphiques et motrices. Le programme de spectacle devient une sorte de support mnémotechnique en reprenant sur un mode ludique des éléments de la mise en scène (personnages, décors), qu’il soumet à la manipulation du jeune public. L’ephemera peut ainsi théoriquement intégrer les séances de jeux des petit·es spectateur·ices en changeant de statut, pour devenir une sorte de produit auto-dérivé. Il se transforme en masque, en accessoire, en décor, en coloriage, en carte postale détachable, en bulletin d’évaluation du spectacle… Autre manière d’entrer dans l’espace familier du foyer : les théâtres jeunesse affectionnent aussi particulièrement les bulletins d’informations mensuels, fabriqués comme des périodiques pour raconter la vie de l’institution et fidéliser son jeune public en lui racontant ses coulisses.

Découper, coller

Colorier

Bulletins et produits dérivés

vers un graphisme enfantin

Par ailleurs, l’adresse graphique développée dans les programmes de spectacle jeunesse semble aussi se caractériser par l’intégration des codes visuels associés à l’enfance, qui régissent aussi la publicité des ephemera du bloc de l’ouest. On rejette la photographie au profit du dessin, on intègre des personnages d’animaux anthropomorphisés. Les illustrations colorées se composent de traits dynamiques, sans perspective et quasi-signalétiques, qui rappellent les dessins d’enfants (quand ce ne sont pas de véritables dessins d’enfants qui sont intégrés aux ephemera). Comptant sans doute sur un effet d’identification, des polices de caractère imitent souvent une écriture malhabile ou les boucles cursives, et l’on retrouve volontiers le motif des lignes de cahier d’école. On retrouve aussi le motif de l’écriture scolaire dans les programmes des compagnies de théâtre scolaire, qui proposent au public de leur retourner un feuillet d’évaluation du spectacle.

Dramaturgie du programme et de sa pliure

Comme dans les albums jeunesse, un travail spécifique s’invente autour des pliures du programme de spectacle pour enfants. 
Les plis du document servent parfois de préfiguration graphique aux logiques dramaturgiques qui apparaîtront dans la mise en scène. Les plis d’un programme en accordéon peuvent alors scinder en deux un visage, pour suggérer la dualité d’un personnage ou sa transformation magique ; ils peuvent aussi préfigurer comment un protagoniste et son antagoniste vont s’opposer dans la pièce en organisant leur répartition sur le papier ; ou soustraire puis révéler à la vue des petit·es spectateur·ices le titre ou un élément symbolique du spectacle.
Les pliures du programme en accordéon permettent aussi de le séparer en différents panneaux, qui fonctionnent comme des espaces clos : le document juxtapose alors différentes saynètes issues de la pièce.
 D’autres programmes reposent sur l’utilisation conjointe de la pliure et de la découpe. Avec délicatesse et inventivité, ces ephemera donnent l’impression que le personnage se rend mobile, malgré la fixité du papier.
Lorsqu’elle divise une illustration ou une photographie en deux, et qu’une moitié se dissimule derrière ou à l’intérieur du programme en accordéon, la pliure peut aussi servir d’invitation à poursuivre la lecture en dépliant le document. Dans les programmes à déplier, on cherche parfois à se donner tout l’espace d’une feuille A3 ou A4, pour proposer un nouveau document au sein du programme (une affiche du spectacle, une carte postale).

Une autre adresse : la sobriété graphique

Tout à l’inverse de la myriade des programmes de spectacle ludiques, le fonds présente aussi un nombre assez important de programmes qui se caractérisent par leur grande sobriété graphique : couleurs discrètes, absence d’illustration, bichromie.
Les nombreux pays d’émission des archives ne permettent pas de suggérer que cela constituerait la tendance d’un seul territoire. Pour les programmes les plus anciens, ce pourrait être en lien avec les conditions matérielles dégradées dans le secteur de l’imprimerie après-guerre. Mais dans l’ensemble, cela paraît simplement signaler l’existence d’un autre pôle esthétique dans la fabrique d’ephemera pour le jeune public, qui s’adresse peut-être plus directement aux adultes accompagnateurs ou qui ne se représente pas les enfants comme un public à happer, à divertir et à occuper coûte que coûte.

Un nouveau motif photographique : le public d’enfants captivé

À l’étude du fonds d’archives, on remarque que très peu de photographies montrent des enfants et une mise en scène dans le même cadre. La plupart des clichés de scène immortalisent le spectacle comme s’il existait sans jeune public, relégué dans le hors-champ.

Spécificité du théâtre jeunesse

À l’inverse, la photographie du jeune public forme une catégorie à part, et existe elle-même indépendamment du spectacle. Les concepteur·ices des brochures et des bulletins liés aux théâtres jeunesse intègrent très régulièrement à leurs documents ce type de photographie à des endroits stratégiques (page de couverture, dos). La photo du public adulte n’est pas aussi répandue dans les ephemera dramatiques qu’on lui destine. Il faut alors peut-être considérer qu’il s’agit ici d’un motif propre au théâtre jeunesse, et que ces images sont produites et destinées aux adultes. Pour lutter contre le discrédit qui leste encore le genre, on cherche peut-être à donner la preuve photographique de l’effet émotionnel puissant du spectacle de théâtre sur les enfants et de l’intérêt indéniable et consensuel que celle·eux-ci portent à ce type d’activité. Cela produit paradoxalement une dévaluation photographique de l’enfant : il ou elle n’existe dans le fonds d’archive que figé·e dans une masse anonymisante, qui le·a prive même de sa singularité émotionnelle.

Ce genre de photographie se répand dans l’ephemera du théâtre jeunesse, en suivant des codes invariables, peu importe l’endroit et l’époque de la prise de vue. Les enfants sont le plus souvent représentés de face, en légère plongée, avec un cadrage serré qui suggère qu’ils sont venus en nombre à la représentation, si bien qu’ils débordent du cadre. Leurs visages expriment soit une joie débordante, soit une concentration intense. Quoi qu’il en soit, la scène semble exercer une force d’attraction inégalable sur les petit·es spectateur·ices, bien qu’elle soit dérobée à notre regard. Il est rare que la légende indique de quel spectacle on a photographié le public.

La représentation d’un public captivé apparaît donc comme un sujet photographique en soi, qui résulte à la fois de stratégies inconscientes de légitimation du théâtre jeunesse et de différentes visions de l’enfance par la classe adulte.
Dans ce corpus, il semble que nulle part en dehors de l’URSS on ne privilégie la représentation d’un public d’enfants sérieux. Il faut peut-être y voir un reflet des différentes politiques d’encadrement de l’enfance, qui découlent elles-mêmes de différentes pensées de l’enfance. Période rêvée comme insouciante et dédiée à l’amusement à l’ouest, il s’agit plutôt d’un moment d’édification idéologique à l’est. Nadejda Kroupskaïa, adjointe du Commissaire du peuple à l’instruction en URSS (1929-1939), mettait ainsi en garde ses pairs adultes vis-à-vis de leurs prescriptions culturelles pour les enfants : « Nous leur racontons beaucoup trop de contes de fées, alors que la réalité est, pour eux, souvent plus passionnante. » (Nadejda Kroupskaïa, De l’éducation en temps de révolution, 2024).
Par ailleurs, le fonds ne compte que quelques photographies d’enfants-comédien·nes sur scène, au Théâtre de la jeunesse de Zagreb. Cela reflète les positions de l’ASSITEJ, qui souscrit à la lutte contre les enfants interprètes, qui s’ouvre dès la fin du XIXe siècle.
L’étude de l’ephemera du théâtre jeunesse pourrait ainsi nourrir l’histoire des représentations de l’enfance par les adultes de multiples façons.

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