Revue d’Historiographie du Théâtre • N°9 T4 2024
Échange d’expériences : l’archive comme salle des machines et plateforme digitale
Par Fiona Macintosh
Résumé
L’AGPRD est un centre de recherche consacré aux mises en scène (antiques et modernes) du théâtre antique. Cet article retrace l’historique du projet et présente les différentes ressources qu’il propose (une base de données, un bibliothèque et une salle d’archives, ainsi que des collections de livres numériques, de podcasts et de master classes). À travers cette présentation, il insiste plus particulièrement sur les enjeux de l’archivage. Que signifie archiver des mises en scènes ? Quelle distinction établir entre traduction et adaptation ? Quels biais peuvent apparaître dans la sélection opérée ? Comment remettre en contexte les productions archivées ? Comment ouvrir l’archive au plus grand monde et en faire un outil pédagogique ou artistique ?
Exchange of experience: the archive as engine room and digital platform
The AGPRD is a research center dedicated to ancient and modern stagings of ancient theater. This article traces the history of the project and presents the various resources it offers (a database, a library and an archive, as well as collections of digital books, podcasts and masterclasses). The presentation focuses on the challenges of archiving. What does it mean to archive performance? What's the difference between translation and adaptation? What biases are involved in the selection process? How can archived productions be put back into context? How can we open up the archive to a wider audience and use it as an educational or artistic tool?
Texte
L’Archive des Performances du Théâtre Grec et Romain (Archive of Performances of Greek and Roman Drama) a vu le jour à l’Université d’Oxford en 1996, à une époque où il n’y avait pas systématiquement de collecte ni d’interprétation des données relatives à l’histoire des performances des pièces grecques et romaines sur la scène moderne. Cette négligence contrastait singulièrement avec l’histoire des autres mises en scène, notamment celles de Shakespeare, que l’on documentait minutieusement depuis au moins le milieu du vingtième siècle, grâce à la création du Shakespeare Institute à Stratford‑on‑Avon en 1951. L’exemple de Shakespeare avait démontré sans équivoque que l’étude de l’histoire des mises en scène était centrale pour l’analyse des pièces elles‑mêmes. Les co‑fondateurs de l’APGRD, Edith Hall et Oliver Taplin, comprirent qu’il était nécessaire de collecter les traces anecdotiques et éphémères relatives aux mises en scène des pièces anciennes, car elles pouvaient aussi constituer une matière première importante pour de solides chercheurs (et chercheuses) en sciences de l’Antiquité.
L’APGRD, comme de nombreuses autres collections, a d’abord vu le jour sous la forme d’une collection aléatoire de memorabilia que l’on cataloguait et intégrait peu à peu à une base de données en ligne. J’ai rejoint le projet en janvier 2000 et me suis immédiatement mise à travailler à la construction d’une bibliothèque de ressources et au développement de partenariats à l’échelle locale et internationale. C’est à peu près à cette époque que j’ai rencontré Valérie Worth (qui était alors professeure de français à l’Université Brookes à Oxford), qui m’a présenté l’équipe CESAR, alors basée à l’Université Brookes. Nous fûmes émerveillés par la quantité de données collectées par l’équipe CESAR, mais il est essentiel de souligner combien nous, à l’APGRD, étions naïfs à cette époque. Dès le départ, l’équipe de Brookes nous invitait à partager nos données, mais nous les protégions avec une naïveté et une jalousie que tout le monde trouverait étrange à présent – et je le mentionne aujourd’hui parce que je souhaite souligner que CESAR était très en avance sur son temps, et qu’il restait à l’APGRD beaucoup à apprendre.

Dès 2005, grâce au soutien et à la générosité d’amis dans des endroits reculés, après presque dix ans passés à collecter des données à travers le monde entier, et arborant désormais un site internet très prisé et une librairie substantielle spécialisée en réception de l’Antiquité et en histoire du théâtre, les membres de l’APGRD commencèrent à réfléchir à leur pratique. Que signifie archiver les mises en scène ? Quels pièges et quelles difficultés le processus excessivement déterminant du processus d’archivage lui‑même ?
Certains de ces problèmes était visibles dès le départ – surtout notamment le caractère personnel, fortuit, chaotique et excessivement déterminant du processus d’archivage lui‑même. Même s’il n’y avait alors, et qu’il n’y a toujours pas de sentiment conscient du contrôle qu’on impose ou de l’exclusion qu’on met en place, à la manière qui, selon Derrida, est caractéristique de la pratique archivistique en général, on trouve inévitablement des vides et des élisions dans les collections, qui résultent de biais inconscients et d’une tentative de collecte de sources à l’échelle mondiale. Il était, dans ces premiers temps, essentiel de s’interroger sur le contexte institutionnel de l’APGRD, qui appartient à la fois à ce qu’on a estimé être une discipline élitiste et à une université élitiste, même si à l’époque on considérait véritablement que la réception de l’Antiquité et l’APGRD se trouvaient à la marge des activités principales de la Faculté des Sciences de l’Antiquité à Oxford. Il était également essentiel de conserver au premier plan le lien inextricable entre les Sciences de l’Antiquité Classique et la classe sociale, qui a été bien étudié ; par conséquent, il était capital que l’APGRD maintienne en première ligne de ses préoccupations le besoin de résister à toute approche hiérarchique ainsi qu’à toute approche eurocentrée du processus de collecte.
Quels que soient les défauts de la collection, ses avantages en termes de pédagogie étaient plus qu’évidents dès 2005 : déjà, l’APGRD commençait à attirer des étudiants (et étudiantes) de renommée mondiale qui venaient faire leur doctorat, et des chercheurs (et chercheuses) venaient à Oxford consulter les fonds de nos archives pour compléter leurs études des pièces antiques. En 2010, l’APGRD a embauché son premier archiviste, qui a immédiatement fait remarquer que les éléments qui constituent les collections n’étaient pas des sources réservées aux chercheurs (et chercheuses) qui seraient cachées dans les rayonnages et n’en seraient retirées que pour être consultés par d’autres chercheurs (et chercheuses). Au contraire, très vite, conformément à la réflexion contemporaine sur l’obligation, pour les universitaires en général, de collaborer davantage avec des personnes et institutions extérieures à l’université, l’APGRD a développé des moyens d’ouvrir ses collections à des publics extérieurs à l’université et à des publics extérieurs à la communauté locale d’Oxford.
Les fonctions de l’archiviste ont considérablement évolué au fil du temps. La théorie sur les archives aujourd’hui rejette le modèle de l’archiviste qui officie comme gardien des collections ; à la place, il est désormais acquis que l’archiviste doit collaborer au processus de réouverture et de libération des collections. Dès le commencement, l’APGRD se situait à l’interface entre érudition et pratique ; une part non négligeable de son activité de réouverture résidait dans sa collaboration avec des praticiens (et praticiennes) et dans le commissionnement et le développement de nouveaux travaux.

Comme la plupart des archives modernes, l’APGRD est un véritable espace, une salle de travail, qui comprend des livres, des objets, de documents, et où se déroulent quantité de cours et de discussions durant le semestre. Mais c’est également un espace virtuel, et il l’a été tout particulièrement pendant la période de pandémie : grâce à son programme très dense de rencontres en ligne, ses bases de données, ses collections numériques et les liens numériques avec d’autres collections qui ont été perfectionnés. La réouverture des collections crée un espace ouvert dans lequel chercheurs (et chercheuses), néophytes comme chevronnés, amateurs et professionnels, universitaires et praticiens, peuvent avoir accès à l’information, partager leurs idées, créer des œuvres nouvelles et écrire l’histoire du théâtre. De bien des façons, l’archive se doit de fonctionner vraiment comme la salle des machines d’une structure, où l’on conserve les parties mécaniques et l’essence, et où adviennent régulièrement des échanges d’idées. Cette archive de théâtre « réouverte » promeut la recherche, la pédagogie et la créativité, et démontre non seulement que leur co‑existence est possible, mais aussi que leur alliance renforce l’étude des scripts dramatiques, antiques comme modernes.
La Base de Données des Productions Modernes de l’APGRD

La première preuve, et aussi la preuve la plus évidente, de cette réouverture de l’APGRD, c’est la mise en place d’un accès numérique et systématique à ses métadonnées. La force même de cette base de données, c’est son accessibilité aux non‑spécialistes : cet outil n’est pas conçu simplement pour les spécialistes de l’Antiquité : il vise également des praticiens du théâtre, de traducteurs, de spécialistes de la traduction, et le grand public. C’est pourquoi l’on peut interroger les données de diverses façons : la recherche ne se limite pas aux œuvres ou auteurs grecs ou latins, mais inclut également des champs de recherche liés aux productions scéniques contemporaines : leurs contextes et leurs détails (titre, date, contributeur(s), pays de la mise en scène et lieu où l’adaptation a été mise en scène). Visuellement, les données concernant le contexte de la production scénique contemporaine sont mises en valeur par leur positionnement en haut de la page internet ; une telle mise en valeur sur la page reflète l’idée que l’adaptation moderne entretient un rapport d’égalité, plutôt qu’un rapport d’infériorité hiérarchique, avec l’œuvre antique dont elle est inspirée. Les informations sur le contexte de création et sur le cadre conceptuel de la production scénique contemporaine est ainsi pris en compte et archivé sous la production elle‑même, parce qu’il appartient à la fois à l’histoire de la réception et des significations du texte antique et à l’histoire intellectuelle de la période et de l’aire géographique qui ont généré la nouvelle production.
L’évaluation de l’archive est un processus, que l’on ne discute et ne développe pas uniquement en interne entre archivistes, mais qui fait partie intégrante d’un dialogue que les chercheurs (et chercheuses) de l’APGRD entretiennent entre eux et avec la communauté universitaire ainsi qu’avec d’autres bases de données et archives qui collaborent avec l’APGRD. De nombreux choix importants doivent être faits lorsque l’on archive une mise en scène, et la question de savoir quel genre de mise en scène se retrouve finalement archivée n’est pas des moindres. À l’APGRD, la logique qui sous‑tend les choix de pièces à enregistrer et intégrer aux collections trouve son origine dans la conviction qu’il est essentiel de répertorier dans son intégralité la portée des textes dramatiques antiques dans le monde moderne, y compris les adaptations modernes acclamées qui pourraient bien avoir éclipsé, à certains moments de l’histoire, leurs homologues antiques. Pour cette raison, les sources qui ne sont pas canoniques – telles que la Phèdre de Racine ou le Ballet d’Agamemnon vengé de Jean‑Georges Noverre – n’occupent pas, selon nous, une place moins centrale dans l’histoire de la réception des textes antiques que la reprise d’une pièce canonique.
Le processus de remise en contexte d’une production moderne excède de loin l’enregistrement de données contextuelles pratiques sur ses premières mises en scène et celles qui ont suivi (où ? qui ? quand ?). Ce processus implique des décisions complexes quant à la nature de cette production, qui sont résolument déterminées par le degré de relation qu’elle entretient avec la pièce qu’elle adapte. Conformément aux théories de la traduction et aux études sur l’adaptation au théâtre, qui, en substance, mettent sur le même plan les procédés à l’œuvre dans la traduction pour la scène et dans les adaptations théâtrales, à moins qu’il s’agisse d’une mise en scène en langue originale (et on la catalogue alors sous la catégorie « langue originale »), toute production scénique moderne, dans le champ « degré de relation avec la pièce antique » est cataloguée comme une « adaptation ».
Récemment, des efforts ont été faits afin d’améliorer l’accessibilité numérique du champ de recherche élargie « traduction ». Cette sous‑section de la Base de Données des Productions Modernes a commencé à être développée en 2011 grâce au soutien de la Fondation Mellon et du Fonds John Fell de l’Université d’Oxford. À l’origine, les premières entrées de cette sous‑section se rapportaient en majorité à des traductions de pièces antiques en français à l’époque de la première modernité. Cette sous‑section inclut désormais des traductions de l’époque de la première modernité en plusieurs langues vernaculaires européennes (italien, espagnol, néerlandais, allemand) et en néo‑latin. Pour le futur, certains de nos objectifs consistent, en priorité, à élargir la base de données de la section des traductions à d’autres époques et à des aires géographiques extérieures à l’Europe, afin de pouvoir se pencher sur les dynamiques de pouvoir culturelles et linguistiques inhérentes à la théorie et à la pratique de la traduction dans les colonies et dans des contextes post‑coloniaux. Par la suite, notre objectif serait de superviser un projet qui consiste à convertir les données de traductions en une Base de Données des Traductions, qui existerait en parallèle de la Base de Données des Productions Modernes afin d’éclairer l’importance qu’ont eue les traductions au‑delà du domaine scénique.
La section « Traductions » de la Base de Données des Productions Modernes vient en complément du projet de recherche « Traduire le théâtre antique », qui compte parmi ses membres principaux Malika Bastin‑Hammou. Le projet s’attache au rôle central qu’ont joué les traductions du théâtre antique grec et romain non seulement parce qu’elle appartient à l’histoire de la réception des « originaux », mais aussi parce qu’elles ont reflété et résolument influencé l’histoire intellectuelle, l’histoire du théâtre et les tendances linguistiques des périodes et aires géographiques dont elles furent issues. Cette attention portée à la vie et à l’ampleur des traductions du théâtre antique dans les langues modernes s’inscrit dans la lignée de l’intérêt nouveau porté aux théories et pratiques de la traduction dans les études de réception de l’Antiquité, et répond aux exhortations des spécialistes de littérature contemporaine qui invitent à considérer la traduction comme une part de l’histoire littéraire.
Les ebooks multimédia/interactifs de l’APGRD
La numérisation des collections a l’avantage de fournir un accès presque universel et de sortir un matériau du cadre de l’université pour atteindre un public bien plus vaste. Mais la numérisation n’est pas, comme elle pourrait le sembler, une panacée sans difficulté. Lorsque des budgets limités empêchent une numérisation à large échelle de vos collections, comment rendre accessibles des objets à celles et ceux qui ne peuvent venir jusqu’à vous ? Comment repenser la visée de publications universitaires coûteuses, qui ont été inspirées par ces objets, afin de les rendre accessibles et attrayantes à une plus large audience ? Ce sont ces motivations qui ont incité l’APGRD à candidater – avec succès – au Conseil de la Recherche en Arts et Humanités de Grande Bretagne pour un « Financement Complémentaire », afin de créer deux ebooks interactifs/multimedia.

Chaque ebook présente l’histoire des mises en scène d’une tragédie grecque – Médée et Agamemnon. Les ebooks ont pour source deux publications papier des débuts de l’APGRD, Medea in Performance 1500‑2000 et Agamemnon in Performance 458 BC to AD 2004 (2005), auxquelles ils ont apporté de nombreuses améliorations et mises à jour. Ces ebooks révisés fournissent un outil à la croisée entre exposition numérique et ebook interactif et leurs pages sont construites avec un ensemble de matériaux numérisés et d’objets numériques à l’origine – des affiches de théâtre historiques, documents éphémères et photographies de théâtre, aux frises chronologiques interactives, cartes animées, et extraits vidéos et audio de mises en scène et entretiens avec les praticiens de théâtre et universitaires. Ces deux ebooks peuvent se lire de façon traditionnelle (un chapitre après l’autre), mais le lecteur peut aussi construire son propre parcours de lecture au moyen d’hyperliens, qui lui permettent d’accéder directement à leur contenu en sautant certains chapitres. Donc il est possible, par exemple, de commencer par une carte digitale qui propose une version animée du long voyage de Médée de sa patrie (aujourd’hui la Géorgie) à travers la mer noire jusqu’en Grèce, et de sauter ensuite des chapitres pour regarder les photographies de mises en scène qui ont cherché à explorer les traits du personnage de Médée qui l’apparentent à une immigrante qui inspire la méfiance. En outre, chacun de ces ebooks contient des glossaires extensifs, des fenêtres pop‑up avec des informations complémentaires, et des pages de « lectures complémentaires » conseillées qui rendent le sujet plus accessible à un lectorat composé de gens extérieurs à l’université.
Les livres sont initialement en format iBooks Author mais sont aussi accessibles, bien que sous une forme légèrement moins interactive, en fichier epub pour une meilleure accessibilité. Étant donné que les ebooks sont en téléchargement gratuit sur de nombreuses plateformes et, ce qui est crucial, ne requièrent pas d’accès à internet une fois téléchargés, nos collections peuvent désormais être partagées avec un public dans le monde entier, et particulièrement dans des pays où l’accès à internet est irrégulier. Un seul téléchargement d’un professeur peut se partager avec toute une classe qui n’aurait jamais pu effectuer un voyage aux archives de l’APGRD à Oxford. Suite à la pandémie de Covid‑19, ils se sont révélés être une ressource d’enseignement à distance particulièrement efficace : à l’école des Arts Tisch de New‑York, nous avons cru comprendre qu’ils avaient été utilisés dans des cours d’art dramatique, pas simplement parce qu’ils sont une ressource gratuite, mais parce qu’ils sont interactifs et donnent « une sensation de vie fort nécessaire, particulièrement pour des enseignements qui comportent une partie pratique… qui permet aux étudiants (et étudiantes) de se confronter avec la matière de façon significative, d’intégrer l’aspect visuel et auditif à leurs propres présentations et à leur pratique créative ».
Bien sûr, de nombreux défis se sont présentés en cours de route, et le projet s’est révélé être un processus d’apprentissage exigeant : d’un point de vue technique, lorsque nous nous sommes retrouvés confrontés aux possibilités et aux limites des différents logiciels ; d’un point de vue administratif, lorsque nous avons cherché à obtenir les permissions et les copyrights pour chaque objet numérique ; et d’un point de vue créatif, lorsque nous avons cherché à construire des pages qui, visuellement, attirent l’œil, avec des textes qui soient accessibles sans être réducteurs. Comme toujours, les logiciels et les limites financières nous ont forcés à faire des compromis. Par exemple, certains éléments ne purent pas être inclus, mais ces moments nous ont aussi donné la possibilité de faire preuve d’inventivité avec ce que nous pouvions utiliser. Si l’on réfléchit à ce processus, nous avons développé une boite à outils accessible en libre accès dans laquelle nous partageons les meilleures recommandations pratiques.
La boite à outils et l’ebook commencent à fournir des modèles pour d’autres projets de recherche (qui ne concernent pas uniquement le théâtre). Par exemple, à l’Université Nebraska‑Lincoln aux États‑Unis, la création d’un ebook est utilisée dans la formation des étudiants (et étudiantes) en Humanités et en Science pour développer des compétences qui puissent être mobilisées quel que soit leur travail. Les étudiants (et étudiantes) du Nebraska ont été formés par des membres de l’APGRD, d’abord par Skype puis lors d’une résidence d’été à Oxford en 2019, sur toutes les compétences nécessaires – gestion de projet, recherche en archives, écriture, édition, permissions, numérisation, design – impliquées dans le montage collaboratif d’un ebook. Nous sommes également très enthousiastes à l’idée que l’accessibilité des éléments de notre collection ait ainsi pu inspirer d’autres mises en scène. Nous recevons des rapports de praticiens qui ont utilisé nos ebooks pour mettre en forme leurs répétitions, et au moins une des compagnies, Barefaced Greek, que nous avions engagée lors du montage de Médée, une histoire des mises en scène pour faire leur premier court‑métrage en grec, a acquis une notoriété considérable sur Youtube.
Ces ebooks permettent une approche à distance, et potentiellement créative, des archives. Nous avons la sensation que nous avons permis le développement d’un prototype pour un nouveau type de publication en accès libre, qui apporte des éléments sur les mises en scène, les commentaires, les textes et les objets à des publics variés. Ces publics peuvent utiliser l’ebook pour se plonger dans le sujet de façon aussi précise ou générale qu’ils le souhaitent, et avoir recours à la matière des archives pour des raisons universitaires, créatives ou émotionnelles.
Le podcast et le blog de l’APGRD
Le blog et la série de podcast de l’APGRD, lancés respectivement en 2018 et 2020 constituent une autre partie de ce programme d’élargissement de l’accessibilité de la matière relative au théâtre grec et romain et à l’histoire de ses mises en scène. Ces deux ressources numériques couvrent des sujets de natures variées, depuis l’entretien avec un praticien créateur au sujet de productions récentes et de projets sur des textes dramatiques antiques jusqu’aux discussions scientifiques sur les pratiques théâtrales du masque, antiques et modernes, ou la diffusion du théâtre antique en Sicile et dans la région de la Mer Noire. On y trouve aussi des réflexions de formateurs d’acteurs sur les outils pédagogiques nécessaires pour l’enseignement du théâtre antique à l’école et à l’université.

Un des buts du blog et du podcast consiste à mettre en valeur, explorer et partager les collections de l’APGRD avec le grand public. L’épisode de podcast « La Sicile et le théâtre grec » et le post de blog qui lui est associé « Leopold Metlicovitz et son poster pour l’Agamemnon, INDA 1914 », par exemple, donne la parole à Oliver Taplin et Giovanna di Martino qui s’intéressent à la photographie d’une production de l’Agamemnon d’Eschyle mis en scène à Syracuse en 1914 à la veille de la Première Guerre Mondiale. Cette production inaugura ce qui allait devenir à Syracuse le plus ancien festival moderne de théâtre antique, qui existe encore à ce jour. La photographie qui faisait l’objet du podcast appartient à la collection Leyhausen‑Spiess, qui se trouve à l’APGRD, et contient l’ensemble des documents du fondateur de l’Institut de Delphes, le professeur Wilhelm Leyhausen, une initiative de l’après‑guerre qui a rassemblé des jeunes gens de toute l’Europe pour monter des pièces antiques dans des théâtres antiques. Cette collection comprend vingt‑six boites de sources qui documentent d’importantes productions européennes de théâtre antique de 1914 à 1971, qui s’ajoutent aux documents en lien avec les activités de l’Institut de Delphes.
La tragédie grecque – des masterclass sous forme de films

Les ressources numériques offrent des outils productifs et stimulants pour aborder les praticiens du côté de la création et converser avec eux. L’APGRD s’est associée l’année passée avec la Compagnie « Out of Chaos » afin de développer le premier film du projet « Tragédie grecque – des masterclass sous forme de film », fondé par le Programme Culturel pour les Humanités de l’Université d’Oxford. Le but du projet consiste à produire une série de ressources numériques gratuites, de haut niveau et durables sur la tragédie grecque, qui soient pensées pour les scolaires et les étudiants (et étudiantes), ainsi que pour un public en expansion, international, et à distance, qui a été accru par la pandémie de Covid‑19. Le projet rassemblait des praticiens du théâtre du monde entier et des experts autour de la création d’un film d’une durée de 40 minutes sur l’Antigone de Sophocle, la pièce antique qui s’est trouvée au cœur de débats portant sur la politique, la loi, la religion, le genre et la psychanalyse de l’Antiquité jusqu’à nos jours.
La masterclass sur Antigone a été filmée, dans le respect des conditions sanitaires liées au Covid, dans un studio du Sud de Londres. Deux acteurs ont travaillé ensemble à la scène de confrontation entre Créon et Antigone et en ont proposé deux mises en scène très différentes : d’abord, ce qui est peu habituel, sous la forme d’une dispute familiale intime ; ensuite sous la forme d’une confrontation publique entre les pouvoirs étatiques et les revendications d’un individu, et un affrontement entre perspectives masculine et féminine. Les membres de l’APGRD se chargèrent de fournir des commentaires et le contexte, et leur contribution par Zoom fut éditée et ajoutée aux séquences de répétitions. Le film avait pour finalité de rendre Antigone accessible à un nouveau public, par l’introduction et l’association de plusieurs mises en scène et d’approches philologiques, et en illustrant les techniques et processus du jeu, et le rôle des répétitions dans la création du sens d’un texte de théâtre. La première phase de financement a constitué une démonstration de faisabilité pour des masterclass supplémentaires, qui ont permis l’obtention d’un financement pour deux nouveaux films soutenus par l’APGRD et le Centre des Études Grecques (Center for Hellenic Studies) d’Harvard.
L’appétit pour différentes sortes de matériaux pédagogiques en lien avec le théâtre en général est immense, mais, à l’inverse de Shakespeare, il en existe étonnamment peu en lien avec le théâtre grec. Le développement de ressources gratuites accessibles via les pages des ressources numériques de l’APGRD sur le site internet, ainsi que d’autres plateformes comme AppleBooks et Youtube, cherche à atteindre un public international désireux d’avoir accès à des mises en scène de haute qualité et à des discussions sur le théâtre grec et romain. L’archive « réouverte » sera également, dans l’idéal, connectée à d’autres ressources gratuites qui donneront à l’histoire des mises en scène du théâtre antique leur place au sein d’une nouvelle ère plus démocratique.
Pour citer cet article
Fiona Macintosh, « Échange d’expériences : l’archive comme salle des machines et plateforme digitale », Revue d’Historiographie du Théâtre numéro 9 [en ligne], mis à jour le 01/04/2024, URL : https://sht.asso.fr/echange-dexperiences-larchive-comme-salle-des-machines-et-plateforme-digitale/