Cahiers Théâtre/Archives • N°3 T2 2023
Revue d’Histoire du Théâtre • N°299 T2 2024
Parution 4 novembre 2024
ISBN : 979 10 94971 37 6
370 pages
22 euros
Revue d’Histoire du Théâtre • N°299 T2 2024
Dans le combat pour l’égalité homme-femme dans le domaine du théâtre, de véritables avancées sont à souligner depuis le rapport de Reine Prat de 2006. Parallèlement des travaux historiques pionniers ont fait émerger des figures féminines importantes. En 2022 les Journées du matrimoine organisées au Théâtre des îlets à Montluçon faisaient malgré tout apparaître les carences dans le domaine de la collecte des archives et dans la recherche.
Le numéro 299 de la Revue d’Histoire du Théâtre, intitulé « Pour une histoire des metteuses en scène » choisit d’ouvrir largement le champ d’étude et d’explorer quelle a été la place des femmes dans la mise en scène en France du XVIIe siècle au début du XXIe siècle. De nombreuses personnalités apparaissent avec des parcours et des œuvres variées. Des mouvements et des tendances se dessinent et posent les premiers jalons d’une histoire essentielle, enfin visible, première étape vers une histoire mixte au plein sens du terme.
Préface
Julie Deliquet, metteuse en scène, directrice du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis
Introduction
Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl
Femmes de théâtre et mise en scène aux XVI-XVIIIe siècles
Comédiennes influentes dans la France des XVIe et XVIIe siècles. Traces et hypothèses
Céline Candiard
La méthode Clairon. Préalables à l’invention de la mise en scène : aux sources de la dramaturgie et de la théorie du jeu
Florence Filippi et Aurélien Poidevin
De la tragédienne de génie à la directrice de théâtre libertin. Portrait de Mademoiselle Dumesnil en proto-metteuse en scène
Annick Chekroun-Steiler
Directrices, actrices, autrices… et metteuses en scène de 1880 à 1950
Sarah Bernhardt, la première « metteuse en scène »
Joël Huthwohl
Réjane en son théâtre. Sous les feux de la rampe, une metteuse en scène invisible ?
Aude Ginestet
Femmes à la tribune. Pratiques, textes et conférences théâtrales féministes des années 1900
Léonor Delaunay
Les femmes ne sont pas que des collaboratrices… L’agentivité de Cora Laparcerie, actrice, directrice et metteuse en scène
Nathalie Coutelet
De la Comédie-Française aux mises en scène expérimentales. Louise Lara, itinéraire d’une artiste d’avant-garde
Eugénie Martin
Simone Jollivet, la « femme-théâtre » éclipsée par Charles Dullin
Anne-Lise Depoil
Véra Korène. Comédienne, metteuse en scène et directrice de théâtre (1901-1996)
Noëlle Giret
La mise en scène par les femmes au XXe siècle
Écrire l’histoire des metteuses en scène – 1946-1990.
Enjeux méthodologiques et historiographiques
Raphaëlle Doyon
Catherine Dasté, femme de théâtre irréductible
Raphaëlle Jolivet-Pignon
Théâtre dans la ville, théâtre à l’université. L’engagement poétique et féministe de Catherine Monnot
Stéphane Miglierina
Silvia Monfort metteuse en scène. La part belle aux textes
Tifenn Martinot-Lagarde
« Rattraper la balle lancée par Virginia Woolf ». Luttes et stratégies des comédiennes pour l’appropriation de la mise en scène dans les années 1970-1980 en France
Lorraine Wiss
Théâtres documentaires de femmes en France et en Italie au tournant du XXe et XXIe siècles. La mise en scène en question
Erica Magris
L’évolution de la visibilité des metteuses en scène dans le théâtre français de 2006 à 2024
Sophie Proust
Rencontre avec Ariane Mnouchkine
Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl, avec la complicité de Charles-Henri Bradier
Rencontre avec Hélène Cixous
Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl
Porte-folio. Portrait de Dora, de Hélène Cixous, mise en scène Simone Benmussa
Julie Deliquet, metteuse en scène, directrice du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis
La question de la mémoire des femmes de théâtre, et plus particulièrement des metteuses en scène, s’est posée pour moi lors d’un projet entre le Théâtre Gérard Philipe et la mission « droits des femmes » de la ville de Saint-Denis. Nous souhaitions proposer un dispositif populaire, un jeu de l’oie intitulé « Les femmes et le théâtre », mais nous nous sommes heurtés à une difficulté : faire émerger des noms. C’est par son nom qu’on entre dans l’histoire et qu’on traverse les générations. On peut mal connaître les personnages historiques masculins, mais on connaît au moins leurs noms. Avec les femmes, c’est beaucoup moins évident : on ne trouve pas de noms.
La question n’est pas aussi complexe pour le cinéma qui est un art jeune : on peut visionner les œuvres et rétablir une vérité. Alice Guy, bien qu’ayant subi des actes volontaires d’invisibilisation historique, est désormais entrée dans les grandes figures de l’Art. Elle est devenue un personnage que l’on raconte. Pour un art vivant comme le théâtre, si les femmes n’ont pas laissé de trace en leur temps, si les historiens n’ont pas témoigné pour elles, l’oubli est plus définitif. Parfois, les historiens se sont même engouffrés dans la perpétuation de ces inégalités. Je l’ai constaté lorsque j’ai monté un spectacle sur la troupe de Molière à l’occasion de son 400e anniversaire. J’ai découvert la place capitale des femmes dans le fonctionnement des troupes au XVIIe siècle et dans la façon dont les décisions artistiques étaient prises. Jusque-là je n’avais pas conscience de cette horizontalité, bien réelle avant la Révolution française.
Notre prise de conscience est si tardive. Avec un art si ancien, comment peut-on être si en retard ? Cet effacement a encore des conséquences aujourd’hui.
Se compter est devenu une priorité car si on ne compte pas, la place des femmes n’est pas mesurable. La première à l’avoir fait est Reine Prat. Le rapport choc, qu’elle a publié en 2006, a des répercussions jusqu’à nos jours. Dans ce contexte, les directeurs de Centres dramatiques nationaux, hommes et femmes, sans qu’on le leur demande, ont écrit une charte qui fait désormais partie des contrats pluriannuels d’objectifs et qui édicte quelques principes : parité dans la programmation, parité dans les moyens de production, parité dans le partage des sièges. Auparavant, les femmes étaient le plus souvent programmées en petite salle tandis que les hommes étaient en grande salle. Toutes et tous ont été d’accord pour adhérer à cette charte. Ce fut une prise de conscience.
On critique les quotas, mais ils ont toujours existé sans que personne ne s’en émeuve. Un très grand nombre de candidats passe le concours d’entrée dans les conservatoires, et, parmi eux, il y a beaucoup plus de candidates que de candidats, donc le niveau est beaucoup plus haut chez les filles ; elles ne peuvent pas prétendre réussir si elles n’ont pas une note proche de la note maximale, tandis que ce n’est pas le cas pour les garçons. Cela n’a jamais posé de problème à quiconque : on a toujours procédé ainsi pour avoir des promotions équilibrées de filles et de garçons.
Pour les directions de lieux, il fallait renverser la tendance. Auparavant les hommes qui se présentaient étaient beaucoup plus nombreux que les femmes : ils avaient eu des carrières qui leur permettaient de se sentir légitimes pour postuler. Quand on m’a demandé de candidater à une direction, j’ai hésité et j’ai répondu que je ne savais pas si c’était le bon moment. On m’a fait remarquer qu’un homme avec une carrière comme la mienne se serait étonné de n’avoir pas été nommé plus tôt.
Compter est important. En revanche, quand on a souligné avec émotion que j’étais la deuxième femme – en 2023 -– à faire une mise en scène dans la Cour d’honneur au Festival d’Avignon, j’ai eu honte. Quelle fierté retirer de cela ? J’espère qu’on ne le dira pas à la troisième.
Les metteuses en scène de ma génération sont dans un rapport de solidarité entre elles tandis que la précédente était constituée de solitaires. Elles ont préparé la place dont nous avons pu nous emparer. Nous leur sommes redevables mais les choses ont déjà beaucoup changé. Nous n’avons pas vécu les situations professionnelles de manière concurrentielle. La génération d’avant nous est entrée dans un monde d’hommes, nous sommes entrées dans un monde en quête de parité. Nous avions une place à inventer et non pas une place à prendre comme nos aînées. Elles ont dû exercer une autorité masculine. En tant que metteuses en scène, elles ont dû faire en sorte que leur genre ne se voit pas comme étant une différence alors que pour ma part cela ne me pose aucun problème. La génération qui arrive traite encore la question de la différence autrement en repensant même la question du genre. Nous avons à notre tour un rôle à jouer. Je le fais en prenant la direction d’un lieu, en marrainant une école nationale, en donnant des cours.
Quand un homme se réveille le matin, il ne se dit pas qu’il est un homme. Moi, je me dis nécessairement que je suis une femme. Tout, dans mon travail ou dans ma vie, m’amène à me poser la question de mon genre, alors que je m’aperçois que pour une moitié de l’humanité, ce n’est pas le cas. Si une femme est nommée à la tête d’un théâtre, les journaux titrent : « Le nouveau directeur est une directrice ». Pour un homme, la presse parle de son projet et de sa vision. La différence est énorme. Nos propriétés biologiques n’ont rien à voir avec notre identité, avec nos qualités d’artistes ou nos ambitions à la direction d’un théâtre. Les questions de la diversité et du handicap se posent d’ailleurs de la même manière et ce sont les prochains combats dans le milieu du théâtre.
Le féminisme a joué un rôle pour moi. La prise de conscience d’appartenir à un corps collectif féminin et masculin, avec ses propres inégalités, a surgi quand j’ai été nommée à la direction d’un théâtre. Le féminisme est devenu une question active, militante et radicale, une question d’égalité. Cette égalité n’est pas portée par un genre en particulier et doit être partagée très largement avec les hommes. Qu’elle nous concerne toutes et tous est un de mes combats. La parité dans les programmations artistiques n’a rien de punitif, elle doit se faire dans un dialogue libre et démocratique. Aujourd’hui, je rencontre autant d’hommes que de femmes pour faire ma programmation. Si elles sont plus nombreuses dans mes saisons, c’est parce que les projets des femmes m’ont plu, tout simplement. Cela dit, j’assume tout à fait d’agir sur mon temps. La nécessité d’un rééquilibrage est réelle.
Ce n’est pas parce que je suis une militante de l’égalité que le sujet va se retrouver sur le plateau. On attend souvent certaines thématiques des metteuses en scène comme le récit de l’intime. Les femmes n’ont pas à se faire dicter ce qu’elles veulent aborder à la scène. Au moment où elles ont trouvé leur place dans les théâtres, elles devraient se voir imposer des thématiques de spectacles ou de programmation ? La liberté, c’est la liberté du choix, même s’il dérange. Je soutiens la création portée par des femmes qui prennent la parole comme elles l’entendent, en tant qu’artistes. Ce qui est intéressant, c’est comment une femme va regarder l’œuvre qu’elle met en scène. Au théâtre, on travaille sur des œuvres qui ont déjà été montées. C’est toute l’histoire de cet art. Pourquoi entreprend-on une énième Phèdre après Chéreau ? Parce que tout dépend de la manière dont Phèdre est regardée. Pendant plusieurs générations, on s’est privé du regard qu’auraient pu porter les femmes sur les œuvres du répertoire. On s’est privés de cette diversité.
Les directions artistiques sont transitoires. Se pose donc la question de la trace dans les mémoires et les lieux. Au Théâtre Gérard Philipe, si j’étais un homme-directeur, je changerais le nom du théâtre, mais je ne le ferai jamais en tant que femme, ce serait ressenti comme trop violent. On dirait que je coupe la tête à Gérard Philipe. Je ne sais pas de quelle violence on parle d’ailleurs. On parle beaucoup de violence pour le féminisme, mais le machisme tue tous les jours dans le monde, le féminisme ne fait pas de victimes. J’ai donc demandé aux femmes et filles de Saint-Denis de renommer la grande salle du théâtre du nom d’une femme, elles ont choisi Delphine Seyrig. Les historiens se saisiront un jour de cette période. À notre échelle, des choses ont bougé, sur l’égalité hommes-femmes notamment et sur le nombre de spectacles de femmes, mais ce n’est pas nécessairement ce qui restera. On retiendra peut-être toujours de grands noms d’hommes de théâtre. Ce n’est pas central pour moi, j’ai l’impression de m’inscrire dans quelque chose de collectif, à hauteur d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, d’être simplement ouvrière de mon époque. Toute seule une ouvrière ne fait pas grand-chose. C’est une lutte du prolétariat au féminin.
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