Dictionnaire des metteuses en scène
Suzanne BingMétiers: Comédienne, Metteuse en scène, Traductrice
Organisations ou collectifs liés: Théâtre du Vieux-Colombier Paris
Personnalités liées: Charles Dullin, Edgar Varèse, Étienne Ducroux, Jacques Copeau, Louis Jouvet, Marie-Hélène Dasté
Notice rédigée par Gaïa Richard
Déjà présente dans l’historiographie théâtrale pour son travail d’interprète, de traductrice, de chercheuse et de pédagogue, Suzanne Bing a aussi sa place dans l’histoire de la mise en scène française. Les travaux de l’historienne du théâtre Raphaëlle Doyon rendent compte des nombreuses tâches préparatoires qu’elle a assurées pour rendre l’œuvre de Jacques Copeau possible. Érudite et bilingue français et anglais, elle donne très tôt une structure théorique et pratique à l’entreprise du metteur en scène. Mais Suzanne Bing a préparé autant que subi l’effacement de son travail dans l’histoire du théâtre, habitée par la conviction que « Si l’on n’est pas Michel-Ange, Être le ciseau de Michel-Ange. » (Suzanne Bing, citée par Raphaëlle Doyon, « Suzanne Bing, collaboratrice de Jacques Copeau : enquête sur la constitution d’un patrimoine théâtral »)
Elle a reçu une éducation plastique et musicale exigeante, et, dans des pensionnats britanniques, elle acquiert une maîtrise solide de la langue anglaise et une culture raffinée, mises au profit d’une intense activité de traduction tout au long de sa vie (Shakespeare, Arthur Waley). Elle est reçue au Conservatoire national de musique et de déclamation en 1903 et forge ses armes de comédienne avec Max Reinhardt en Allemagne. Reçue à une audition au Théâtre du Vieux-Colombier en juin 1913, elle débute une collaboration avec Jacques Copeau qui durera 36 ans.
En croisade contre le théâtre de divertissement, Copeau rencontre le pédagogue suisse Émile Jaques-Dalcroze un an plus tard. Il partage son intuition que l’on pourrait déduire des jeux des enfants une nouvelle méthode de direction des comédiens, moins cérébrale et plus expressive. Suzanne Bing s’occupe de mener à bien cette recherche et prend en charge une série de cours pour enfants au Club parisien de Gymnastique Rythmique Jaques-Dalcroze (1915-1916), puis pour les petits élèves de Margaret Naumburg à New-York (1918-1919). De 1920 à 1923, elle dispense les cours de diction, de technique corporelle et d’« instinct dramatique » au « Groupe d’Apprentissage » de l’École du Vieux-Colombier, qu’elle participe à fonder. C’est dans le cadre de ces enseignements qu’elle semble avoir tenu le rôle plein et entier de metteuse en scène, lorsqu’elle dirige les représentations des spectacles de fin de cycle produits avec les élèves, comme le Vray mystère de la passion en 1920. L’historiographie retient particulièrement la mise en scène qu’ils auraient dû présenter en 1924, à partir de la traduction que Suzanne Bing propose du Kantan de Zeami, en parallèle de son travail de recherche sur le nô japonais. À cause de la blessure du premier rôle, le spectacle en reste à sa répétition générale. Pourtant, Raphaëlle Doyon montre que cet embryon de mise en scène a posé les jalons de certains éléments considérés aujourd’hui comme caractéristiques de l’esthétique Copeau : l’expression corporelle musicale, la codification gestuelle et le masque neutre (Raphaëlle Doyon, « Suzanne Bing, collaboratrice de Jacques Copeau »). Plus largement, ce processus d’invention et d’appropriation semble s’imposer tout au long de son compagnonnage dramatique. Pour Jacques Copeau, Suzanne Bing consigne les observations qu’elle tire des expérimentations qu’elle mène. Elle conceptualise de nombreux principes, qui seront approfondis par Copeau dans ses traités et mises en scène : le mime, les déplacements rythmiques, l’auto-correction des interprètes, l’imitation d’animaux, les improvisations à partir du souvenir des textes, un nouveau « vocabulaire gestuel des émotions » (Raphaëlle Doyon, op. cit.), etc. De violentes crises d’hémiplégie puis l’antisémitisme d’État sous le régime de Vichy entravent le travail théâtral Suzanne Bing à partir du milieu des années 1930.
Restituer ce que la mise en scène française doit à Suzanne Bing suppose de déjouer des réflexes historiographiques patriarcaux, qui découlent en partie de la standardisation tardive des noms de métiers au théâtre. Un spectacle créé et présenté dans une école de théâtre compte-t-il comme une mise en scène ? La recherche pédagogique en direction de jeu, notamment lorsqu’elle débouche sur des principes esthétiques révolutionnaires, est-elle une pratique de la mise en scène ? Suzanne Bing était-elle une pédagogue, une dramaturge, une assistante à la mise en scène ou une metteuse en scène ?
Vray mystère de la passion, créé en 1920, à l’École du Vieux-Colombier, Paris (France).
Kantan, de Zeami, traduction Suzanne Bing, créé en 1924 à l’École du Vieux-Colombier, Paris (France).
Fonds d’archives liés :
Ensemble documentaire Suzanne Bing, Bibliothèque nationale de France, Paris (France)
Fonds Copeau-Dasté, archives municipales de Beaune, Beaune (France)
Fonds Brochet, bibliothèque Jacques-Lacarrière, Auxerre (France)
Fonds Chancerel, Société d’histoire du théâtre Paris (France)
Fonds Jacques Copeau, Bibliothèque nationale de France, Paris (France)
Abonnement
L’abonnement annuel constitue le soutien essentiel aux activités éditoriales de la Société d’Histoire du Théâtre et à leur pérennité. Il inclut les envois papier, l’accès aux versions numériques et à nos archives.
S’ABONNER EN LIGNE À LA VERSION PAPIER+NUMÉRIQUES’ABONNER EN LIGNE À LA VERSION NUMÉRIQUE