Revue d’Histoire du Théâtre • N°298 T1 2024
2 rue du pont de lodi
Par Pascal Rambert
Résumé
Préface de Pascal Rambert
Texte
2 rue du pont de lodi
il y avait cette chose qui m’attrapait qui me retenait me faisait m’arrêter ce souvenir cette brusque pénétration dans mon cerveau de lui et tout ce qui suivrait mes années à côté de lui sa voix comme une trompette son rire et il était dans la rue du pont de lodi je m’étais dit il est là tu le vois souvent quand tu gares ton vélo face au 2 quand le taxi t’attend à l’angle de la rue dauphine et de la rue du pont de lodi pour t’emmener à roissy cdg pour partir à tokyo lima ou helsinki lui qui n’a presque pas fait de mises en scène à l’étranger qui ne pouvait disait-il comme régy ne mettre en scène qu’en français sa france sa folie de la france vichy la politique sa moustache ce fantassin fou du théâtre français sa détermination comme ça sans doute déjà tu en es sûr elle était là dans son corps ce défi constant toute sa vie cette façon d’affronter toujours cet amour de la bataille du pas facile sans doute du coup de poing déjà dans la rue du pont de lodi en short et en petite chemise à manches courtes avec de grosses chaussures et grosses chaussettes comme on en faisait après-guerre sans doute tricotées par sa mère dans le logement de la conciergerie tout cet imaginaire peut-être même de la revanche sociale et les yeux brillants devant patrice mince brillant et moustachu aussi l’époque les foulards en soie noués les cheveux noirs les narines de chevaux on le voit cela dans la rue du pont de lodi c’est encore là dans l’air et je l’imagine entrer au 2 dans son école d’un côté les garçons d’un côté les filles 2 portes distinctes grandes et napoléon 3 je le vois il ressemble à ces enfants d’après-guerre avec les doigts tachés pleins de sueur et de joie sur le visage comme lui il dit parfois quand il me fait jouer perdican avec béart il dit je suis un bûcheron il s’oppose à patrice qui brille comme si tout était facile je suis un bûcheron un tâcheron il n’y a que le travail je ne crois pas au génie alors que moi je crois au génie mais je ne le dis pas parce que quand je détache mon vélo rue du pont de lodi je le vois passer enfant devant le 7 de la rue des grands augustins où picasso se tient sous les poutres au dernier étage là où balzac installe le chef-d’œuvre inconnu donc question génie là ça va et je ne peux m’empêcher de penser qu’il croise picasso dans la rue sans le savoir les dates concordent j’ai vérifié et je le vois dans cette scène cette atmosphère d’après-guerre bien avant louis le grand bien avant patrice jean-pierre enfant je le croise avec son air fanfaron sa morgue sa force d’enfant d’employés d’enfant qui veut comprendre ne pas se satisfaire ça c’est sûr jean-pierre c’est ne pas se satisfaire ne pas accepter des années après quand il me parle de mes spectacles il est toujours critique très dur très sympa aussi pas méchant rigolo jamais triste je crois que je ne l’ai jamais vu triste ni abattu blessé oui quand à nanterre il me tend libération qui le raille veut lui apprendre la vie bref mais jamais déprimé agacé oui ayant des gens dans le nez oui mais pas dépressif fanfaron toujours comme l’amour qu’il nous porte à toutes et tous les centaines d’actrices et d’acteurs qui sont passés entre ses mains qui ont été dirigés par son énergie de bulldog comme son chien eschyle qui te saute dessus et bave sur toi tout le temps son énergie en baskets je ne mets en scène qu’en baskets il dit pour sauter plus vite sur le plateau tout ça cet amour critique qu’il nous a donné monte dans l’air de la rue du pont de lodi quand j’écris ce texte comme je lui parle quand je prends mon vélo face au 2 souvent
pascal rambert tokyo 12 octobre 2023
Pour citer cet article
Pascal Rambert, « 2 rue du pont de lodi », Revue d’Histoire du Théâtre numéro 298 [en ligne], mis à jour le 01/01/2024, URL : https://sht.asso.fr/2-rue-du-pont-de-lodi/